Hommage au roi Béhanzin

 

HOMMAGE AU ROI GBÊHANZIN, HÉROS NATIONAL

 

DISCOURS DU PRESIDENT DE L’ASSOCIATION NATIONALE D’ORGANISATION DU CENTENAIRE DE LA MORT DU ROI GBÊHANZIN (ANOC – MG), A L’OUVERTURE OFFICIELLE DES MANIFESTATIONS, LE 10 DECEMBRE 2006

 

Monsieur le Président de la République, Chef de l’État, Chef du Gouvernement,

Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale, Mesdames et Messieurs les Chefs des Institutions de la République,

Mesdames et Messieurs les Ministres, Honorables Députés à l’Assemblée Nationale, Excellences, Mesdames et Messieurs les Membres du Corps Diplomatique et des Institutions Internationales, Sa Majesté le Roi Houédogni BÉHANZIN, Sa Majesté le Roi Dédjalagni AGOLI-AGBO, Leurs Majestés les Rois invités et présents à cette cérémonie, Honorables Dignitaires de la Dynastie HOUÊGBADJA d’Abomey, Chers Parents, Chers Amis, Chers Invités

 

J’ai l’honneur de souhaiter la bienvenue à vous tous, Hautes Autorités de l’État, parents, amis, hôtes venus de l’étranger, la bienvenue aux manifestations du Centenaire de la mort du Roi GBÊHANZIN, Héros National du Bénin.

Je voudrais ensuite remercier chaleureusement les Présidents Mathieu KÉREKOU et Boni YAYI ainsi que leurs Gouvernements pour avoir compris la portée de l’événement de ce jour et pour l’avoir rendu possible grâce à l’octroi d’une aide appréciable de notre Etat à la Collectivité Royale BÉHANZIN.

Une voix plus autorisée que la mienne, en l’occurrence celle de sa Majesté le Roi Houédogni BÉHANZIN, exprimera plus amplement la gratitude de la Famille BÉHANZIN.

En attendant de passer la parole à mon aîné, le Professeur Jean PLIYA, pour vous présenter le Héros du jour, le Roi GBÊHANZIN, je voudrais vous dire quelques mots sur le Royaume du Danxom£ et spécialement sur la dynastie des ALLADAHONOU, dont il est le plus beau fleuron.

I- L’ANCIEN ROYAUME DU DANXOME ET LA DYNASTIE DES ALLADAHONOU

Le Royaume du Danxomê avait atteint, à la fin du XIXe siècle, un degré d’organisation remarquable qui suscitait l’admiration ou l’étonnement des voyageurs européens.

A. Le HÉRISSÉ écrit, au début du XXe siècle, après la conquête française que : « Le Royaume du DanxomE mériterait l’honneur de tenir la première place parmi les peuplades, ses voisines, groupées désormais sous l’autorité civilisatrice de la France. Par son organisation vraiment extraordinaire pour un pays noir, il les avait déjà surpassées de beaucoup, alors qu’elles ne formaient encore que des confédérations de tribus sans grande cohésion et sans autres institutions que celles qu’on retrouve dans tous les groupements familiaux primitifs. Ses Rois dont l’autorité justement redoutée ne s’employait pas uniquement, quoiqu’on en pense, à un arbitraire brutal et irraisonné, avaient su lui donner une administration fortement hiérarchisée, une armée permanente et des embryons de services douanier et judiciaire ».

Le Royaume ainsi décrit par Le HÉRISSÉ s’étendait entre le Couffo à l’Ouest et l’Ouémé à l’Est, partait des côtes de l’Atlantique au Sud pour englober Savalou au Nord. Au plus fort de sa puissance, sa zone d’influence débordait à l’Ouest sur le pays AJA, poussait une pointe jusqu’à Atakpamè au Togo, englobait Kétou à l’Est, et atteignait Tchaourou et Bassila au Nord.

D’après le Professeur Félix IROKO, le DanxomE était devenu, à la fin du XIXe siècle, la première puissance militaire de la région du Golfe du Bénin.

Ce Royaume est le résultat d’une succession de règnes depuis le début du XVIIe siècle jusqu’à la fin du XIXe siècle. Ce fut l’œuvre de la Dynastie Royale des ALLADAHONOU qui, partie de TADO (et avant TADO du pays ASHANTI) et passant par Allada (d’où leur nom) est parvenue à se fixer et à s’imposer sur le Plateau d’Abomey, après une longue errance qui fut aussi une longue Marche. Ainsi, du Pouvoir Aja, est née la Nation Fon, pour paraphraser le Professeur Maurice AHANHANZO GLÈLÈ, Nation Fon que je prends le risque de présenter comme une heureuse synthèse des potentialités AJA et YORUBA.

Je ne vous imposerai pas une présentation intégrale de la liste royale des ALLADAHONOU. Je me contenterai de parler :

D’abord du groupe des précurseurs : DO-GBAGRI, fils du Roi d’Allada AKPADI, et ses fils GANYÈ-HESSOU et DAKO-DONOU qui ont conduit l’émigration des ALLADAHONOU sur le plateau d’Abomey. Ils s’installent à HOUAWE où se trouvaient les indigènes GUÉDÉVI qui étaient des noyaux de peuplement nago ou yorouba.

Ensuite HOUÉGBADJA, fils de GANYÈ-HESSOU et véritable fondateur du Royaume (1650-1680). Il s’installe dans la région actuelle d’Abomey et y édifia le premier Palais Royal à KPATINSA. Il poursuit la colonisation du plateau d’Abomey en soumettant les petits chefs de la Région. Il dote le Royaume d’une Constitution de 40 lois avec, comme devise, « Un Dahomey toujours plus grand et toujours plus fort ».

Après le Roi Fondateur, on peut souligner le règne d’AGADJA (1708-1728) qui fut le Roi Conquérant. En effet, c’est lui qui réalisa l’extension du Royaume jusqu’à la côte par la conquête d’Allada (1724), de Savi et de Ouidah (1727).

Paradoxalement, c’est sous son règne qu’Oyo imposa sa tutelle au Danxomê

On peut parler ensuite de KPENGLA (1775-1789), le véritable créateur de l’armée danhoméenne.

Puis vint GUÉZO (1818-1858) qui mit fin à la tutelle Yoruba et étendit l’influence du Royaume vers le Nord. Mais le vrai titre de gloire de GUÉZO fut d’avoir organisé la révolution économique qui a permis au Royaume de passer de la traite esclavagiste au commerce légal par le développement systématique du palmier à huile. C’est le Roi Rénovateur ou Réformateur.

– Mais on ne peut oublier le Roi GLÈLÈ pour la défense de l’intégrité territoriale du Royaume face aux assauts répétés de l’impérialisme européen que sont :

Le blocus de la côte du DanxomE par les Anglais en 1876-1877.

Le traité de 1878 imposé par les Français pour obtenir la cession de Koutonou.

La tentative avortée des Portugais d’instaurer leur protectorat sur la côte du DanxomE, entre 1855 et 1887, avec la complicité du négociant Juliano Félix de SOUZA.

Le Roi GLÈLÈ ne s’illustra pas seulement sur les champs de bataille et sur le terrain diplomatique. Ce grand négociateur fut aussi un grand rénovateur dans le domaine culturel.

Le Roi GBÊHANZIN (1889-1894) termine cette remarquable série de Souverains en menant une résistance acharnée contre la conquête coloniale française. C’est le Roi Résistant.

Nous devons compléter cette présentation par l’évocation rapide de deux règnes particuliers :

– Celui du Roi ADANDOZAN qui régna pendant 21 ans de 1797 à 1818, mais qui est rayé de la liste royale d’Abomey après avoir été déposé pour avoir enfreint gravement aux traditions du Royaume. Ce n’est pas demain la veille qu’il sera réhabilité dans la dynastie des HOUÉGBADJA. Mais je plaide pour qu’on nous autorise à parler de plus en plus de lui à cause de son long règne, du rôle de précepteur qu’il fut pour le futur Roi GBÊHANZIN, et des côtés positifs dont le créditent les historiens nigérians, nos voisins.

– Nous devons parler aussi du Roi AGOLI-AGBO pour affirmer que ce n’est pas parce qu’il a été intronisé par les Français qu’il n’est pas de la dynastie des HOUÉGBADJA. Il est le dernier Roi de la lignée des ALLADAHONOU, même s’il n’a régné que sur la moitié Nord du Royaume du DanxomE autour d’Agbomè ; la moitié Sud, autour d’Allada, ayant été confiée à GIGLA.

Ainsi, le Roi GBÊHANZIN fut l’avant dernier Roi de la remarquable Dynastie des ALLADAHONOU ou HOUÉGBADJA. Son règne fut le plus court (Janvier 1890 – Janvier 1894), en gros quatre ans, mais sans conteste le plus éclatant à cause de l’exemplarité de son combat pour l’intégrité territoriale et la liberté de la patrie. Le Professeur PLIYA vous parlera plus longuement de lui.

Mais, il n’y a pas de médaille sans revers. Le bel édifice des ALLADAHONOU s’est construit dans la violence de l’Histoire, à travers de multiples guerres qui ont laissé de mauvais souvenirs chez les populations voisines du Danxomê.

II – LE THÈME DE LA RÉCONCILIATION

C’est conscient de cela que nous les organisateurs du Centenaire, descendants de GBEHANZIN, avons décidé de faire de la réconciliation le thème général de réflexion pour le Centenaire.

Et nous partons du principe que tout en étant les héritiers de nos Rois, nous ne sommes pas comptables de leurs actes.

Mais en examinant notre héritage, nous découvrons ces problèmes qui nous interpellent. En réalité, il y a deux catégories de problèmes qui induisent deux volets dans notre démarche pour la réconciliation.

/. La réconciliation avec nos frères Nago à l’Est et au Nord ; et nos frères Watchis à l’Ouest. Mais c’est surtout avec nos frères Nago qu’il y a les problèmes les plus coriaces. Tout le monde sait que chez le Kétois, le Fon est pire qu’un animal sauvage. Et tout le monde connaît également l’expression « Ifonkoda » qui a cours chez nos frères Idatchas. Ce sont autant de séquelles laissées dans la mémoire collective de nos voisins.

Mais on oublie souvent que la tutelle d’Oyo a duré plus de 100 ans sur Abomey qui a dû payer chaque année un lourd tribut constitué de :

41 jeunes hommes et 41 jeunes filles – 41 béliers

41 barils de poudre – 41 chèvres

41 ballots de pagne – 41 coqs et

41 paniers de perles de corail – 41 poules.

Une fois même, un prince fut envoyé en otage parmi les jeunes gens (AWISSOU, futur TÉGBÉSSOU).

On oublie aussi, parce que cela remonte loin dans le temps, que la première fois que la Ville d’Abomey fut brûlée, ce fut en 1708 par les gens d’Oyo.

Evidemment l’empire d’Oyo qui était la puissance régionale du Golfe du Bénin au début du XVIIe siècle, n’a pas vu d’un bon œil la naissance et le développement du Royaume du DanxomE sur son flanc Ouest. Il tenta donc de le contrôler sinon de l’étouffer.

C’est cela qui explique fondamentalement que la plupart des guerres du DanxomE furent dirigées contre nos voisins nago ou yoruba de l’Est. Le Danxom£ s’est donc développé et a grandi dans une relation permanente d’opposition à Oyo, jusqu’à le supplanter pratiquement à la fin du XIXe siècle comme première puissance régionale du Golfe du Bénin.

Nous devons donc, entre hommes de bonne volonté et intellectuels honnêtes, organiser des colloques scientifiques pour passer au crible de la critique les relations conflictuelles qui ont existé et perduré entre nos populations. C’est la seule façon de cerner les séquelles néfastes qui ont sédimenté durant des décennies, voir des siècles, dans la mémoire collective de nos populations pour entreprendre de les expurger méthodiquement.

La réconciliation vraie, qui implique la paix des cœurs et des esprits, ne se fera pas par le biais d’accolades publiques hypocrites, pendant que les forces de l’ombre continueront à instrumentaliser nos oppositions ethniques.

La réconciliation se fera dans le cadre d’une démarche citoyenne visant le renforcement de l’unité nationale.

  1. La réconciliation au sein de la Famille Royale.

C’est le second volet de notre démarche.

La succession entre les Rois GBEHANZIN et AGOLI-AGBO a été une véritable tragédie. Elle a laissé des séquelles profondes que le temps n’a pas encore effacées.

Le centenaire de la mort de leur père, le Roi GLÈLÈ, dont le thème était l’unité de la Famille Royale, nous a permis de poser le problème de la réconciliation entre les lignées royales d’Abomey en général, et entre les lignées BÉHANZIN et AGOLI-AGBO en particulier. Nous avons fait un premier pas dans cette voie en 1990 sous la direction éclairée du Professeur Maurice AHANHANZO GLÈLÈ, et de Daah Gbêgbémabou MÊLÉ. Mais force est de reconnaître que nous n’avons pas beaucoup progressé depuis 16 ans. Pis, nous avons même régressé, à cause d’incidents malheureux survenus en 1988.

Mais à quelque chose, malheur est bon : Cette expérience infructueuse, nous a permis de mieux apprécier la difficulté de la tâche ; tâche très difficile certes, mais non irréalisable. Nous les héritiers, sommes convaincus que la culture de la haine n’a pas d’avenir, et qu’une mésentente ne peut durer éternellement.

L’exemple de la France et de l’Allemagne peut nous servir de leçon. Grâce à l’intelligence historique et à la volonté politique de deux géants de l’Histoire Contemporaine (j’ai nommé le Général de GAULLE et le Chancelier ADENAUER), ces deux grands Etats européens se sont réconciliés et actuellement le couple franco-allemand sert de socle et de moteur à la construction européenne.

Reprenons notre marche vers la réconciliation en changeant de méthode. Nous proposons l’institution, au sein de la Famille Royale d’Abomey, d’une Commission Vérité et Réconciliation. Ses conclusions nous permettront de commencer à tourner les pages d’un passé de haine pour ouvrir résolument et méthodiquement les portes d’un avenir d’unité et de paix.

III – LA REPENTANCE

Mais la Famille BÉHANZIN propose un deuxième objectif à cette Commission. Elle doit explorer également les voies de la réconciliation avec nos frères de la DIASPORA, descendants des esclavages dont le Royaume de DanxomE a organisé le trafic.

Nous sommes persuadés que la responsabilité première, dans ce commerce honteux, revient à l’Europe. L’écrivain Aimé CÉSAIRE a dit des choses définitives sur cette responsabilité lorsqu’il écrit dans son « Discours sur le Colonialisme » : « le grand drame historique de l’Afrique a moins été sa mise en contact trop tardive avec le reste du monde, que la manière dont ce contact a été opéré ; que c’est au moment où l’Europe est tombée entre les mains des financiers et des capitaines d’industrie les plus dénués de scrupules que l’Europe s’est « propagée » ; que notre malchance a voulu que ce soit cette Europe-là que nous ayons rencontrée sur notre route et que l’Europe est comptable devant la communauté humaine, du plus haut tas de cadavres de l’histoire ».

Il est évident que les victimes de l’esclavage font partie de cette comptabilité macabre.

Mais nous les héritiers du Royaume du DanxomE, devons reconnaître notre part de responsabilité, si minime soit elle, dans l’esclavage, ce crime contre l’humanité.

Assurons courageusement ce passé de honte pour établir avec nos frères de la DIASPORA, des relations nouvelles. La Commission Vérité et Réconciliation que nous suggérons à la Famille Royale peut nous proposer un calendrier et indiquer les modalités d’une repentance sincère.

Pour terminer, je voudrais renouveler les remerciements de la famille BÉHANZIN au Président Boni YAYI dont l’énergique intervention, le mercredi dernier, a sauvé cette fête.

Je remercie également tous les sponsors. Leur aide a complété celle du Gouvernement et l’apport de la famille pour nous permettre d’organiser cette célébration.

Monsieur le Président de la République,

Honorables Invités,

Chers Parents, chers Amis,

Merci d’être venus, et merci de nous avoir prêté votre attention.

Fait à Abomey, le 10 Décembre 2006. Jean Roger AHOYO,

Le Président de l’ANOC-MG.

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HOMMAGE AU ROI GBÊHANZIN HÉROS NATIONAL

Abomey – Singbodji 10 Décembre 2006.

par Jean PLIYA,

Ecrivain – Historien.

avertissement

Le texte de ce discours n’a pu être intégralement présenté le 10 décembre 2006 à Abomey, lors de la cérémonie d’ouverture officielle du Centenaire, en raison des contraintes de temps.

En le publiant in extenso nous donnons à tous, la possibilité d’accéder pleinement au message qui nous a été demandé pour présenter sa Majesté le Roi GBÊHANZIN.

Quel hommage digne de sa gloire pouvons-nous rendre au grand Roi GBÊHANZIN ?

A la veille de sa reddition au Général DODDS à Goho, il fit, avec ses soldats morts au combat, le pacte de la suprême fidélité. Lui est mort en exil, à Alger en déportation, loin de sa terre natale. Vingt-deux ans plus tard, ses cendres revinrent au Dahomey, lorsque la crainte des colons de voir les populations s’agiter se fût quelque peu apaisée. Mort dans des conditions iniques, GBÊHANZIN méritait un hommage exceptionnel. La postérité le lui a rendu. Officiellement proclamé Héros National par la République du Bénin, sa renommée s’étend aujourd’hui hors des limites de son pays, à l’Afrique et au monde. Quel hommage mérite donc ce souverain ?

GBÊHANZIN, le combattant de la liberté, est plus grand que son vainqueur, plus grand couché que debout. Il a acquis sa stature de héros en affrontant l’armée d’un Etat puissant, la France, comme Toussaint LOUVERTURE, le champion de l’indépendance de Haïti, originaire du DanxomE, qui tint tête aux troupes de NAPOLÉON 1er.

Roi GBÊHANZIN ! La plus grande mission que tu as accomplie a été d’aimer ton peuple et ta patrie jusqu’à leur sacrifier ta vie. Tu as voulu leur liberté, leur indépendance. Tu t’es battu et tu as résisté pour les conserver, pour sauver l’unité de la Famille Royale et de la Dynastie de HOUÉGBADJA.

En cette même année 2006 où les cendres de ton fils bien-aimé OUANILO sont ramenées au Bénin, la Nation tout entière commémore le centième anniversaire de ton décès. L’humus de tes cendres royales mêlées à la terre rouge des Aïeux repose à présent sur la roche mère.

La boucle est donc bouclée. Et la semence a germé. Les bourgeons gonflés de sève nouvelle ont éclôt. Ils s’épanouissent de nos jours dans un contexte politique d’heureux changement, nouvelle chance pour sauver l’héritage historique de GHÉZO et de GLÈLÈ, de GBÊHANZIN et d’AGOLI-AGBO. Aujourd’hui, le défi lancé aux descendants des Souverains victimes du colonialisme est d’avoir la sagesse de résister à la désagrégation, de transcender les rivalités, les incompréhensions, les suspicions, les divisions, et d’éteindre définitivement les querelles d’antan. Ainsi redeviendront-ils des ferments nouveaux pour la survie des ancêtres. Voilà pourquoi cette commémoration a été placée sous le signe de la réconciliation. On n’a pas le droit d’avoir été grand Seigneur et de redevenir un valet sans prestige.

Quels facteurs ont donc formé le Roi GBÊHANZIN ? Quelles racines profondes l’ont porté et soutenu ? Comment expliquer la vigueur du tronc, la luxuriance des branches et des rameaux ? L’on connaît assez bien les actes du Roi nationaliste qui a résisté à la conquête de son pays, le personnage historique au destin fabuleux. Mais comment a-t-il acquis sa personnalité toute en contrastes, admirée des uns, critiquée par les autres ?

Le prince AHOKPONOU GNACADJA, alias KONDO LE REQUIN, alias GBÊHANZIN AÏDJRÈ s’est longuement préparé avant d’accéder au trône, mais bref a été son règne. Il a rêvé de grandes choses mais il n’a pas eu le temps de les réaliser. Il a été forgé par son éducation, les traditions dynastiques du Royaume d’Abomey, des initiations occultes et par les événements imprévisibles de son règne mouvementé. L’exil à la Martinique noblement assumé, l’a grandi et l’a révélé dans sa petite famille d’outre-Atlantique, comme un grand-père qui pose sur les êtres un regard de tendresse insoupçonnée.

I – LES RACINES FAMILIALES

Qui était le Roi GBÊHANZIN ?

Dans un article sur GBÊHANZIN publié par un journal français, « Le Petit Journal », n° 74, du 23 Avril 1892, on a estimé que le Prince AHOKPONOU, fils du Roi GLÈLÈ et de AKOSSOU MANDJANOU, une humble femme d’Abomey-Calavi, sur le lac Nokoué, était âgé de 48 ans. Il est devenu Roi le 1er Janvier 1890, donc à quarante-six ans environ, dans la force de l’âge. Dans la mesure où cette estimation est crédible, GBÊHANZIN serait né vers 1844 et avait donc 14 ans à la mort de son grand-père, le Roi GHÉZO, c’est-à-dire à l’accession au trône de son père le Roi GLÈLÈ en 1858. Celui-ci s’était attelé à défendre l’indépendance du royaume et à raffermir la puissance de la tradition. L’éducation du jeune adolescent a été confiée au grand oncle de son père, ADANDOZAN, qui régna effectivement pendant vingt-et-un ans et dont le nom ne fut pas retenu sur la liste dynastique. C’était un homme d’intuition et de contradiction, à la personnalité forte mais fantasque. Hostile à la pénétration étrangère et au commerce des esclaves, il avait une vision précise des réformes économiques indispensables. GBÊHANZIN a reçu de ce précepteur une rigoureuse discipline.

Dans ses relations avec la grande Famille Royale, le fait que GBÊHANZIN soit le seul fils de sa mère, et pas l’aîné de son père, l’a un peu isolé. Il a donc appris l’art de se maîtriser et de surprendre l’adversaire par des réactions inattendues. Son parcours a été marqué par des nœuds de relations difficiles, d’intrigues déjouées. Il lui a fallu de l’habileté pour triompher et survivre.

Le Roi GLÈLÈ manifestait au prince AHOKPONOU une estime particulière susceptible de provoquer la jalousie de ses frères. Il le consultait souvent et le protégeait. Aussi le prince AHOKPONOU exécutait-il avec zèle la volonté de son père. Un jour le Roi le convoqua au palais avec un autre prince. Tandis que ce dernier traînait le pas, AHOKPONOU qui se lavait sortit aussitôt, la tête couverte de mousse de savon. Il s’enveloppa hâtivement d’un pagne et courut vers le palais.

« Pourquoi es-tu dans cet état ? » s’étonna le Roi.

« Un appel de mon souverain a la priorité sur tout ce que je fais, » répondit le prince AHOKPONOU.

Le prince respectait scrupuleusement les traditions, au point d’en remontrer, en la matière, à ses grands frères négligents qui n’hésitaient pas, en représailles, à le traiter durement.

Homme de culture, artiste compositeur de talent, le Roi GBÊHANZIN maniait bien les genres littéraires de Totalité. Son chant d’adieu pour honorer ses compagnons morts dure, à l’enregistrement, près de quarante minutes. J’en ai tiré l’essentiel du discours d’adieu de ma pièce « Kondo, le Requin ». GBEHANZIN était un grand connaisseur en pharmacopée locale. Mais il recourait aussi à des recettes thérapeutiques empruntées aux pays voisins.

Il a noué des relations diplomatiques avec l’Allemagne et d’autres puissances européennes. Mais la complicité des signataires de la Conférence de Berlin (1885) qui avaient résolu de se partager l’Afrique ne pouvait jouer qu’en sa défaveur. Ses lettres aux autorités françaises étaient solidement argumentées. Non content d’écrire, il a envoyé une délégation de quarante membres au Président Français Sadi CARNOT. A Paris, on n’a pas fait grand cas de ses émissaires. Ils furent laissés seuls dans leurs chambres d’hôtel ou exposés comme des bêtes curieuses au Jardin d’Acclimatation. Ce mauvais accueil ajouté au froid les obligea à revenir bredouilles au Danhomè (cf. le « Petit Journal » du 2/12/1891) « Le Petit Journal » écrivait de GBÊHANZIN qu’il était très intelligent, dissimulé, passant du sourire à la plus violente colère et se calmant avec la même facilité. De taille moyenne, ses yeux très doux sont charmeurs au repos, mais deviennent féroces quand il parle de la France ». Il est devenu le prince héritier du trône en 1875, dans un contexte de rude compétition, trois ans après le décès du précédent dauphin, le prince AHANHANZO. Il aura donc attendu quatorze ans avant d’accéder au pouvoir sous le nom fort de GBÊHANZIN AÏDJRÈ.

Le grand rêve de GBÊHANZIN était la préservation de l’intégrité territoriale du Royaume, la continuité dynastique de HOUÉGBADJA, l’unité de la Famille Royale, l’union qui fait la force et stimule l’intelligence.

Un atout majeur de GBÊHANZIN a été l’héritage de ses prédéces­seurs. Il a pu s’appuyer sur une organisation politique fortement centralisée et hiérarchisée qui confère au Royaume une réelle homogénéité. Aussi peut-il se réfugier dans le Nord et demeurer populaire jusqu’à sa reddition en janvier 1894, quoique la guérilla qu’il menait se heurtait au ressentiment et à la méfiance des habitants du pays MAXI et NAGO, zone d’incursion constante du Royaume d’Abomey.

Après la prise d’Abomey, GBÊHANZIN, dans la brousse-maquis, était introuvable. Toutes les tentatives de capture échouèrent. Durant quatorze mois, de campement en campement, par Yêkanmè, Atchédégbé, Lohou, Détohou, Gogbali et Kpètèkan, GBÊHANZIN était insaisissable. Ce fut le prétexte pour le Général DODDS de faire pression sur ses frères et sur la population qui payait un lourd tribut en vies humaines. En outre la rumeur courait que les Français envisageaient d’installer sur le trône d’Abomey le Roi TOFFA de Porto-Novo. Affront inadmissible, odieux chantage qui poussa GBÊHANZIN à protester dans une lettre du 23 Avril 1893 au Colonel LAMBINET qui assurait l’intérim de DODDS et qui aurait pesé dans la décision de GBÊHANZIN de se rendre pour que son frère GOUTCHILI soit intronisé.

Après son règne mouvementé de quatre années, il subit un long exil de douze ans à la Martinique. Transféré à Blidah en 1906, il mourut la même année à Alger, à soixante-huit ans.

II – LE DESTIN DE GBÊHANZIN

Précipité sur la scène de l’Histoire comme sur le proscenium des tragédies grecques antiques, GBÊHANZIN a été confronté en même temps au grand devoir filial de l’organisation des cérémonies funéraires de son père et au défi d’une guerre moderne. Il a dû combattre avec un armement inadapté, que ne pouvaient compenser l’entraînement poussé, l’héroïsme et l’efficacité des amazones, corps d’élite, véritable garde prétorienne du Roi. Il ne s’agissait plus, comme d’habitude, d’une guerre d’affrontement brutal suivi de repli sur ses positions avant de revenir l’année suivante à la saison favorable. Prenant appui sur les femmes-soldats, les redoutables amazones, la stratégie de l’armée de GBÊHANZIN est celle des commandos de guérilla : approche silencieuse, effet de surprise, attaque foudroyante. La tragédie du Roi GBÊHANZIN a été d’avoir accompli non pas le programme de « GBÊHANZIN AÏDJRÈ », mais celui de « KONDO LE REQUIN ». GBÊHANZIN avait conscience de sa mission historique exceptionnelle comme son surnom de sacre l’impliquait : « Le monde tient l’œuf que la terre désirait et dont l’éclosion sera un signe des temps. »

Au jour de son intronisation, son peuple l’acclamait comme le maître de l’univers, le père des richesses. Le Roi GLÈLÈ, appuyé par l’oracle du devin, avait prédit à GBÊHANZIN qu’il accomplira son destin de paix, non pas en faisant la guerre, mais en se consacrant à l’agriculture. Il lui aurait aussi recommandé l’entente avec les Blancs sans pour autant céder un pouce du territoire. GBÊHANZIN se trouva placé devant un dilemme. Face à l’agression des Français, il fit le choix du courage et de l’honneur. « Aléa jacta est » comme disaient les Romains. Le sort en était jeté. Et il s’est battu et a résisté jusqu’au bout. Son destin est unique, car de tous les Rois d’Abomey, lui seul a affronté les envahisseurs venus de la mer, appuyés sur les tirailleurs Sénégalais. DODDS n’a pu capturer le Requin ou le dompter. « KONDO » est devenu un nom emblématique.

Je n’ai pu l’utiliser comme titre de ma pièce de théâtre qu’après des négociations avec le Prince BEHANZIN Camille qui occupait le trône en 1962. Mes relations avec Monsieur Paulin AHOYO, alors maire d’Abomey, époux de la petite-fille du Roi GBÊHANZIN, Andréa, me facilitèrent les choses. Mon intention de mieux faire connaître la noble figure du Roi à toutes les générations a été comprise et agréée.

III – L’HÉRITAGE HISTORIQUE DE GBÊHANZIN

Après la conquête, le Dahomey était devenu la colonie terrible du système colonial français de l’Afrique de l’Ouest. Les Dahoméens étaient des contestataires en diable qui faisaient valser les gouverneurs. Le colonisateur a fait d’eux les agents de formation des cadres fonctionnaires dans les autres colonies de l’A.O.P. L’intelligence des Dahoméens va les aider à émerger, à se distinguer. Au palmarès de l’éducation scolaire coloniale, ils avaient incontestablement le prix d’excellence. En 1957, le philosophe français Emmanuel MOUNIER a baptisé le Dahomey « Quartier latin de l’Afrique ». Dans une certaine mesure, notre richesse se trouvait dans notre tête, notre courage à combattre l’injustice, à contester l’arbitraire. L’un des pionniers a été Louis HOUNKANRIN, fonctionnaire de l’enseignement. A cause de ses idées révolutionnaires, il fut déporté en Mauritanie pendant dix ans. Là-bas, il mena la lutte contre l’esclavage auquel étaient soumis les Noirs.

Aujourd’hui les données de l’union qui maintenait la cohésion du Royaume d’Abomey ont changé. Les frontières du Royaume ont éclaté. Le Dahomey a remplacé le Danhomè, le Bénin a succédé au Dahomey pour raviver le sentiment national et mieux intégrer les éléments du puzzle issu des luttes valeureuses de héros comme Bio GUERA, KABA et aussi des guerres des Sahouè, des Holli, des Ouatchi ou des Maxi, des Nago, des Idatcha, des Houéda qui avaient résisté contre les conquérants d’Abomey.

Au nom Dahomey seront désormais associées l’intelligence réalisatrice, la détermination à défendre les droits de l’homme. Depuis HOUÉGBADJA qui a édicté les quarante lois fondatrices du Royaume, le citoyen par droit de sang ou de sol, avait des garanties inviolables. De les avoir bafouées a coûté son trône au Roi ADANDOZAN. Dans le Danhomè, aucun Roi ne pouvait dire, comme Louis XIV, Roi de France : « L’Etat, c’est moi ».

GBEHANZIN a mené jusqu’au bout son combat de souverain et de patriote ardent. Il fut l’étendard et le ciment de l’armée danhoméenne lors des campagnes contre les Français car il se portait lui-même au devant du danger en prenant des risques inouïs. Son armée a infligé des pertes sévères aux assaillants. La mémoire française pleure également beaucoup de ses enfants, des officiers supérieurs tombés sous le coup des soldats d’Abomey. Dans une lettre, le ministre français DELCASSÉ a dit de GBEHANZIN qu’il a été un adversaire brave et courtois. GBEHANZIN a mérité bien de la nation béninoise. Et c’est justice qu’il ait été proclamé Héros National en avril 1978.

IV- LA PUISSANCE SPIRITUELLE DE GBEHANZIN

Elle a été une arme de guerre insolite. Ses pouvoirs occultes ont joué un grand rôle dans son autorité et son ascendant de chef guerrier. Le Roi était un grand initié de l’ésotérisme africain. On raconte comment, la nuit précédant le jour de son intronisation, KONDO, laissé seul dans le noir près de l’autel sacré des Rois défunts pour méditer sur ses futures responsabilités, a été trouvé parfaitement éveillé le lendemain matin. Depuis HOUÉGBADJA le fondateur de la dynastie, tous les Souverains abandonnés dans ces conditions furent trouvés endormis. On attribua donc à GBEHANZIN un pouvoir exceptionnel. Il pourra donc exercer, avec une vigilance infaillible, la défense du royaume. D’ailleurs, depuis le Roi GLELÈ, le vodoun royal contrôle tous les autres vodouns et a même intégré les vodouns des peuples conquis. De ce fait, le Roi est détenteur d’un pouvoir de vie et de mort qui est un puissant moyen d’intégration sociale pour garantir l’ordre socio-politique. Avec le Fâ, la mère des vodouns, une puissance magico culturelle de divination, le Roi, servi par le devin GUÈDÈGBÉ, jouait un rôle de contre-pouvoir de tous les autres vodouns.

Durant ses longues années d’attente dans l’antichambre du trône royal, GBEHANZIN a voyagé pour accroître ses connaissances. En plusieurs occasions, il a fait la démonstration de sa puissance occulte.

  • A Kotokpa, une grenade fut lancée au milieu de l’Etat Major de GBEHANZIN. Elle tomba aux pieds du Roi qui posa fortement un pied dessus et prononça des paroles incantatoires : « Nou kou kou non yido bô non loun ivan an ! Un corps pourri, une fois enterré, ne dégage plus d’odeur. » La grenade explosa loin sous la terre.
  • Une escouade de douze soldats français a été chargée de tendre une embuscade pour capturer GBEHANZIN. Dès que le Roi les aperçut, il prononça cette formule magique : « Dégon non mon zo ma haa ! Mi bi ni ha ! Miha ! Miha ! : la crevette exposée au feu ne peut rester droite. Courbez-vous donc tous. Courbez-vous ! Courbez-vous. » A ces mots les soldats furent instantanément calcinés par un feu incandescent, dans une position courbée.
  • Le wagonnet qui transportait GBEHANZIN pour aller embarquer vers la Martinique s’arrêta brusquement au milieu du wharf de Cotonou, long de 400 mètres. On le poussa, on le tira vainement. « Celui qui se croit capable de me forcer à quitter le Danhomè, n’a qu’à intervenir, » dit le Roi.  Finalement, il fit égorger un coq blanc. De son sang l’on aspergea les rails. Alors le wagonnet roula jusqu’au bout du wharf.

V- FAIRE MÉMOIRE ET GUÉRIR LA MÉMOIRE POUR BATIR L’AVENIR

Depuis la naissance du Dahomey, la frustration des gens d’Abomey a été grande car la colonisation a tenté de liquider officiellement la royauté. Abomey a assez chèrement payé pour son histoire. Elle ne doit pas continuer de subir des représailles et d’être marginalisée pour occuper dans la nation béninoise la place normale qui lui revient conformément à son potentiel économique et humain.

A défaut d’éclairer toute la mémoire de ce peuple qui comporte des zones d’ombre et des non-dits, il faut éviter de laisser subsister, volontairement, des pénombres qui terniraient le tableau. Le peuple sorti des guerres contre les Français a été durement éprouvé par le conflit et les famines. Les visées et les options des grands responsables de l’État peuvent ne pas être bien perçues par les populations qui souffrent. Si, pour les Français, la résistance de GBEHANZIN a pris fin, l’on a bien vu qu’avec AGOLI-AGBO elle a continué, par fidélité à la mission reçue et par souci de sauver les bases de restauration de la tradition officielle du Royaume. Pourquoi la continuité historique dynastique de HOUÉGBADJA à AGOLI- AGBO poserait-elle problème ? GBEHANZIN, AGOLI- AGBO, n’est-ce pas le même sang, le même destin scellé sur les champs de bataille, la même résistance morale, la même humiliation par les conquérants lorsque tous deux ont refusé de s’aplatir servilement ? Et finalement, n’ont-ils pas eu le même sort dans l’exil, imposé au grand-frère à la Martinique et au petit-frère au Gabon ? Rien ne les a séparés sur les champs d’honneur et d’horreur, pourquoi la mort les séparerait-elle ?

Le colonisateur français a été tellement impressionné par la vaillance, la résistance du Roi GBEHANZIN et de son armée conduite par le Gahou GOUTCHILI qu’il avait eu longtemps peur d’une éventuelle réaction de revanche de ses frères, les princes d’Abomey qui pouvaient encore galvaniser les populations déjà soumises à la loi coloniale. Le Gouverneur FOURN (1917-1928) en avait des sueurs froides. Il savait en effet à quoi s’en tenir, lui qui, allié par mariage à une descendante de GBEHANZIN, a participé activement au rituel des funérailles du Roi. Cette crainte de soulèvement explique que le retour des cendres ait été différé jusqu’au 9 mars 1928. L’heureux aboutissement, après 20 ans de démarches harassantes, est dû à l’action menée inlassablement par le Prince OUANILO devenu premier Avocat Noir au Barreau de Paris et son cousin KOJO TOVALOU HOUENOU. Ils ont déclenché une campagne de presse qui força le Ministre des Colonies Albert SARRAUT à autoriser le départ pour l’Algérie pour raison médicale, l’état général du Roi s’étant dégradé. Ajoutons que certains appréhendaient même que GBEHANZIN ne ressuscite tout simplement si on ramenait trop vite son corps à Abomey. Vous imaginez donc le pouvoir que ses adversaires attribuaient au Roi, même défunt ? En effet, GBEHANZIN était l’objet d’un véritable culte qui a pu susciter des conflits au sein des lignées royales, marqués par des propos diffamatoires, voire des calomnies.

Or, GBEHANZIN, homme de consensus, avait souhaité qu’AGOLI -AGBO fît ses funérailles car pour lui, il incarnait le mieux les traditions ancestrales. Nous devons rendre hommage à toutes les Familles Royales d’Abomey et à leurs représentants d’avoir accepté de commémorer ce Centième Anniversaire de la mort de GBEHANZIN pour rassembler spécialement tous les descendants de sa majesté le Roi GLÈLÈ, afin de dissiper tout malentendu et de conjurer la division.

« Race d’Allada ! Agbomè a trébuché mais n’est pas tombée », a déclaré AGOLI-AGBO. N’est-ce pas l’essentiel ? D’ailleurs le plus grave n’est pas de tomber, mais, une fois tombé, de refuser de se relever pour marcher jusqu’au bout. « La victoire appartient à celui qui sait attendre un quart d’heure de plus que l’adversaire », disait le Maréchal FOCH. S’abaisser pour triompher, excellente tactique des vrais stratèges. La France a cru défaire le Royaume d’Abomey, mais GBEHANZIN avait la vision de sa vraie victoire. « Je savais que, dans le fond, je n’ai pas échoué, confirme-t-il à GUEDEGBÉ qui consultait les oracles. Nos morts veulent dire sans doute que le Danhomè grandira comme je l’ai désiré et que ce nom ineffacé abritera des peuples plus nombreux que ceux du Danhomè actuel. – Oui, mon Roi, renchérit le devin, depuis la mer turbulente jusqu’aux régions lointaines où le soleil chauffe comme une fournaise. »

Où se trouvent aujourd’hui les descendants des Souverains et des populations d’hier ? Leur sang ne s’est-il pas mêlé, par diverses alliances, au sang des peuples naguère dominés par Abomey ? C’est ensemble que nous relèverons les défis actuels : union, cohésion, travail, volonté de vivre en commun pour le bonheur de tous, émulation pour un vrai changement, pour sortir de l’ornière de plusieurs décennies d’inertie, de paresse, d’irresponsabilité, d’impunité et de corruption. Notre leitmotiv ne sera pas seulement la quête effrénée de l’argent, du CFA, du dollar, de l’euro ou du cauri, mais aussi l’union des cœurs, l’alliance des mains pour bâtir, la cessation des querelles, des coups bas et des coups fourrés qu’on appelle béninoiseries. Un cauri brillant, un cœur ouvert : symboles des nouveaux bâtisseurs du Bénin, du Bénin en changement.

Ohé ! peuples du Danhomè, du Dahomey et du Bénin, la guerre est terminée, la domination coloniale a cessé. Il ne faut plus de ruse ou d’astuce pour tromper l’adversaire, le frère. Les peuples qui se combattaient jadis habitent à présent la même concession. Les gens de l’Ouémé-Plateau, du Littoral-Atlantique, du Mono-Couffo, du Zou et des Collines, et ceux de l’Atacora, de la Donga, de l’Alibori et du Borgou sont désormais concitoyens, compatriotes en marche vers la fraternité. La commémoration du Centenaire de la mort du Roi GBEHANZIN marque l’An I de la réconciliation générale et le temps des malédictions abolies, des bénédictions renouvelées. D’où est venue l’idée tenace que GBEHANZIN se sentant trahi, aurait maudit son héritage et déclaré que « si son balai ne balaie pas la maison de HOUÉGBADJA, ce palais deviendrait une broussaille inhabitable et connaîtra la décadence » ? Pourquoi aurait-il prononcé des malédictions pour vouer la région d’Abomey et la descendance des rois à la discorde et à la régression ?

Quoiqu’il en soit, le Souverain parti en exil en 1894 a été bien mûri par l’adversité. Après sa reddition, le grand malentendu entre le général DODDS et GBEHANZIN a éclaté. Selon la promesse de DODDS, le Roi devait se rendre en France pour rencontrer le Président de la République française et il se retrouva déporté dans les Antilles, à la Martinique. Une telle forfaiture semble être une constante dans la politique coloniale. GBEHANZIN conscient de l’ampleur de ses pertes en vies humaines et de la supériorité technique et militaire des Français a choisi de se rendre de lui-même à DODDS, debout, non à genoux. Il a fait dire au Général DODDS d’envoyer le chercher à un endroit qu’il avait désigné. Cette mission fut exécutée par le Capitaine PRIVE qui sera chargé par la suite d’escorter GBEHANZIN jusqu’à la Martinique. Or le « Petit Journal » du 19 novembre 1894 a fait le compte rendu suivant :

« Après une lutte d’une extraordinaire énergie, le Roi GBEHANZIN réduit par nos troupes et l’abandon des siens a fait enfin sa soumission et le général DODDS a pu télégraphier ce qui suit au ministère de la Marine : « GBEHANZIN poursuivi par les troupes françaises et par la population ralliée au nouveau Roi, abandonné d’ailleurs par tous les membres de la Famille Royale et redoutant d’être enlevé militairement, a fait sa soumission sans condition. Il a été arrêté le 25 janvier près d’Ajego au Nord-Ouest d’Abomey et amené à Goho. Il sera expédié selon vos instructions au Sénégal par le « Second », les ministres seront dirigés sur le Gabon ».

Le curieux destin du Roi GBEHANZIN lui a fait suivre la route des esclaves noirs qu’on expédiait vers les Amériques. Il fut embarqué dans un bateau cellulaire et quitta Cotonou le 11 février 1894. Il arriva à la Martinique le 30 mars 1894. Le wharf de Cotonou, achevé en 1892, a été pour lui la porte du non-retour mais non celle de l’oubli. GBEHANZIN a été détenu au Fort TARTENSON, à 2 Km et demi de FORT-DE-FRANCE, pendant quatre ans avant d’aller habiter le « Villa des Bosquets ». Il a gardé toute sa noblesse et sa dignité. Là-bas sa mémoire est demeurée vivante, empreinte d’admiration, de respect sinon de crainte. Madame PIAT, une Martiniquaise décédée à 97 ans, grand-mère de la femme d’un compatriote béninois, a raconté à ce dernier sa mémorable rencontre avec GBEHANZIN, lorsqu’elle avait douze ans. A FORT-DE-FRANCE, tout le monde parlait du Roi venu d’Afrique, mais les gens avaient peur de s’approcher de lui. La fillette voulait, par curiosité, le voir à tout prix. Les après-midis, le Roi se rendait sur la plage de la « Savane », près du Fort TARTENSON, escorté de trois femmes, l’une portant la pipe du Roi, l’autre le crachoir et une troisième, le parasol. Le Roi s’asseyait face à la mer, regard tourné vers la lointaine Afrique.

Un jour les parents de l’enfant l’envoyèrent acheter du pain. Elle fit un détour par la plage. Avec un peu de crainte, elle s’avança jusqu’à quelques pas du Roi. Les reines ne bougèrent pas. Le Roi se retourna et la regarda fixement. L’enfant, figée sur place, resta debout, incapable de bouger pendant deux heures, jusqu’au moment où le Roi donna l’ordre de partir. Quand elle se réveilla, elle courut dans tous les sens et revint chez elle sans avoir acheté le pain.

GBEHANZIN avait-il espéré qu’il retournerait un jour dans sa patrie ? Bien sûr ! C’était son vœu le plus cher. « Conscient que sa meilleure chance de bénéficier d’une prompte mesure d’élargissement résidait dans une attitude docile et coopérative, il se montra conciliant, protestant de son attachement pour la France et de son désir de servir sa cause avec fidélité…. une fois rentré au pays. Le Gouverneur de la Martinique, M. MORACCHINI, soulignait aussi l’excellente conduite du prisonnier. Mais le clan des irréductibles ennemis de GBEHANZIN, avec en tête le Gouverneur Victor BALLOT, le taxaient de calculateur et assuraient qu’une mesure de clémence aurait des effets désastreux et ruinerait l’œuvre d’organisation de la colonie du Dahomey ». Finalement, GBEHANZIN comprendra que son exil était irréversible. Cependant, inlassablement, il écrivait aux autorités françaises pour réclamer son rapatriement au Dahomey.

VI – L’AVANT DERNIERE ETAPE DE LA LONGUE MARCHE

Durant son long séjour de douze ans à la Martinique, bien des événements se sont passés dans la vie du Souverain sexagénaire replié sur ses souvenirs, mais également ouvert sur l’avenir. « Dès le mois d’avril 1894, le Roi GBÊHANZIN avait fait inscrire son fils OUANILO à l’école. Il avait en effet compris que les Français n’ont pu l’emporter sur lui que grâce à leur savoir et à leur science ». L’Administration française a décidé de le transférer en Algérie, à Blida, aujourd’hui El Boulaïda, parce que le rapport d’une commission médicale avait conclu à la gravité de son état de santé.

Que Blida, sa dernière ville de résidence forcée, se situe en terre africaine n’a pas été pour lui une consolation. En tout cas, ce prestigieux souverain africain n’a pas disparu dans l’anonymat des déportés de la diaspora noire. En définitive que pouvait représenter Blida ?

« Ah ! douce est l’herbe du Sahel, a écrit André GIDE ; et tes fleurs d’oranger ! Et tes ombres ! Suaves les odeurs de tes jardins… Blida ! Blida ! Petite rosée ! Je t’ai vue tiède et parfumée, pleine de feuilles et de rosées. »

Mais, pour le Roi GBÊHANZIN y arrivant fin avril 1906, cette ville située au pied d’une montagne, l’Atlas Boulaïda, n’avait rien de poétique.

Ce fut une étape de désolation. « Que peut me faire le charme du pays puisque le Dahomey sera toujours loin de moi », déclare GBÊHANZIN dans « la Dépêche algérienne » du 20 avril 1906. Son épopée a pris fin le 10 décembre 1906 à Alger à l’Hôtel de Nice où le Roi, très malade, a été transféré. Il s’éteint là dans le froid hivernal, le 10 décembre 1906, bien loin de la chaude poussière dorée du plateau d’Abomey.

Ses derniers moments de vrai bonheur ont été vécus dans sa famille, au milieu de ses proches. Il a quitté la Martinique, accompagné de 13 personnes dont son fils OUANILO, et sa petite-fille ANDRÉA, âgée de huit mois, la mère de celle-ci, la princesse AGBOKPANNOU, et la princesse MÊCOUYON qui sera la grand-mère d’un prélat béninois.

Sous le regard émerveillé de son grand-père le Roi GBÊHANZIN, la petite Andréa, sur le bateau, a fait ses premiers pas, en riant de bonheur. Le Roi l’a soulevée dans ses bras en disant : « Ma petite Blanche ! Petite futée, tu marches sur les eaux, comme le Jésus des Chrétiens ». Cette référence à Jésus ne fut pas une simple façon de parler. Le Roi, dit-on, aurait reçu dans sa résidence à la Martinique des cours de catéchisme dispensés par l’aumônier du Fort. GBÊHANZIN, tel qu’on le connaît, pétri de la culture danhoméenne, n’était pas homme à se laisser imposer un tel choix s’il n’était pas convaincu. Le professeur Joseph A. DJIVO rapporte que « la Famille Royale manifestait beaucoup de sympathie à l’égard des prêtres dont elle avait fait ses meilleurs amis ». Au témoignage de sa fille, la princesse MÊCOUYON, qui ne cessait de le répéter, l’épilogue a été son baptême en Algérie, peu avant sa mort, par le Père ABATI qui le prénomma ALEXANDRE. Pour nous, incontestablement, il fut un ALEXANDRE LE GRAND. Rappelons que le Révérend Père DORGÈRE envoyé à Abomey en 1889 pour régler la question des otages et qui était estimé de GBÊHANZIN, s’appelait ALEXANDRE.

Quel retournement de situation ! L’avenir n’est-il pas vraiment à l’union des cœurs et aux alliances ? GBÊHANZIN qui s’enflammait à la seule évocation de la France est maintenant heureux d’accueillir sa petite-fille métisse, un cadeau providentiel. Ainsi va la vie ! Le sang du Souverain Noir qui combattait à mort les « Blancs aux oreilles rouges », s’est mêlé à celui d’un capitaine de l’armée française, Louis SOUFFLEUR. Andréa la petite princesse de Djimè, le dernier sourire de GBÊHANZIN, est devenue le symbole de la réconciliation voulue, désirée, acceptée.

L’œuvre de la réconciliation ne finit pas tant que subsiste dans le cœur ou la mémoire, l’amertume des blessures du passé. Il n’y a pas de véritable réconciliation sans pardon et remise des dettes. Le vrai pardon rétablit les relations rompues, assainit les plaies envenimées, offre une nouvelle chance aux deux parties de travailler ensemble.

La commémoration du Centenaire de la mort de GBÊHANZIN est un rendez-vous historique pour tous les fils d’Abomey et du Bénin. Que résonne donc la cloche géminée de KPANLINGAN pour nous rassembler ! Finissons-en avec les querelles intestines et les rancœurs tenaces afin que pleuvent sur nous les bénédictions de Dieu et des ancêtres. Nos démarches de réconciliation toucheront aussi tous les peuples impliqués dans l’histoire d’Abomey, peuples agressés, meurtris, humiliés, qui seraient encore animés de sentiments d’amertume ou de revanche. L’objectif est de tisser avec eux de meilleures relations en vue d’œuvrer activement au changement dont le Président de la République, le Docteur BONI YAYI se fait l’ardent champion. Faute de quoi nous resterons échoués sur les rives du fleuve de l’Histoire ; et nous serons grandement comptables devant nos jeunes, nos enfants et aussi devant les grands hommes qui ont labouré et semé pour que nous moissonnions aujourd’hui de magnifiques récoltes.

Cessons de nous accuser les uns les autres pour des actes du passé. Réconcilions-nous pour construire la paix. « Si nous sommes divisés en notre sein, c’est prioritairement à cause de déchirements historiques. Ce qui nous oppose aujourd’hui ne relève pas tant de ce que nous vivons maintenant que de ce qui fut vécu jadis, peut-être même en notre absence.

Nul n’ignore les tragédies de nos peuples. Nul n’est insensible aux déchirements douloureux occasionnés par le drame de l’Histoire. Toute référence à l’Histoire nous est profitable dans la seule mesure où nous commençons à l’accepter pour en déployer dans le présent toute sa signification. Accepter l’Histoire ne signifie pas y voir une fatalité, encore moins une absurdité… Si donc nous condamnons les erreurs du passé, nous devons en même temps désirer qu’elles ne se reproduisent plus jamais. Nos parents ont fait la guerre. Nous, nous faisons la Paix. » Oh ! Oui, la guerre est finie. Nous avons fait front commun durant les hostilités. Nous avons accédé à l’indépendance. Le passé d’humiliation ne doit pas continuer de diviser notre fraternité de sang, de freiner nos efforts de renaissance ; ce serait trop chèrement payer la défaite imposée par les circonstances et les événements à nos résistants GBÊHANZIN, KABA, BIO GUERA. Il faut savoir terminer un conflit, déposer les armes, resserrer les rangs, panser les blessures et recommencer à vivre pour que nos morts reposent en paix. Réconcilions-nous et faisons une paix sincère, durable, définitive. Liquidons le contentieux né des intrigues coloniales, de la diplomatie qui nous divise, nous oppose, nous dépersonnalise pour nous affaiblir à jamais.

A ceux qui n’acceptent pas cette paix des braves nous disons : « Vos bras manqueront sur le chantier de la construction nationale et du développement de votre région, de votre département, de votre commune. Aujourd’hui, tous les héritiers de l’histoire des anciens royaumes ont leur place dans l’édification de la « Res publica », de la chose publique. Les absents ont tort et seront ignorés, négligés, disqualifiés. Les désunis sont d’avance des perdants. Les nostalgiques d’un passé révolu mourront de leurs beaux rêves desséchés. Cessons de transmettre à nos enfants « l’héritage des préjugés d’une famille sur l’autre, d’une dynastie sur l’autre, d’une ethnie sur une autre. Prenons soin de leur présenter l’histoire des peuples, des clans, des familles, de manière à ne pas susciter en eux des sentiments de méfiance, de révolte ou de vengeance, ou encore de refus de coopérer à l’œuvre commune ». L’élan de la solidarité citoyenne à laquelle invitait jadis le Roi GHÉZO pour que tous les fils du pays, viennent boucher de leurs doigts les trous de la jarre d’où s’écoule le sang nourricier de la nation, demeure plus que jamais d’actualité. Puisse le vent du changement qui souffle aujourd’hui devenir l’ultime chance de galvaniser les Béninoises et les Béninois, quelles que soient leurs ethnies, leurs religions, leurs cultures. Qu’ils se décident vraiment à regarder tous dans la même direction, celle de l’union sacrée et des retrouvailles pour le développement de l’héritage commun. Je sais que nous relèverons le défi du millénaire. Nous ne trahirons pas GBEHANZIN, notre Héros National. Nous ne trahirons pas nos ancêtres. Avec KONDO LE REQUIN, nous vous disons à tous : « II ne faut pas qu’aux portes du pays des morts le douanier trouve des souillures à nos pieds. Vivons de telle sorte qu’en revoyant nos ancêtres nos ventres s’ouvrent à la joie ».

Jean PLIYA.

Remerciements : Nous exprimons notre gratitude à tous ceux dont les écrits ou les témoignages oraux nous ont fourni des informations pour rédiger ce texte. Nous le dédions à tous ceux qui l’ont apprécié et nous ont encouragé à le publier.

Copyright, Blaise APLOGAN, 2008, © Bienvenu sur Babilown

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