Au sujet du Président Yayi Boni

 

A tous les amis du Président YAYI

A tous les Béninois, 

MES  RAISONS D’INVOQUER LE DEPART DE YAYI

 

 

J’ai suivi le parcours du président Boni YAYI depuis quatre ans. Comme chacun de ceux parmi vous qui ont soutenu sa candidature en 2006, et même des autres qui l’ont rejoint  plus tard, je me sens quelque peu responsable de ce qui arrive aujourd’hui à notre pays. Et puisque nous serons bientôt appelés à nous prononcer sur le bilan du quinquennat et son éventuelle reconduction, je ne puis m’empêcher de jeter un regard sur la gestion de notre ami et frère commun en vue de forger mon opinion sur la question.

 Cela revient à examiner les réponses du « changement » aux préoccupations des Béninois qui lui ont accordé un vote massif, c’est-à-dire leur confiance quasi unanime, en mars 2006.

Je sais que vous aussi, vous vous êtes essayés à l’exercice. C’est pourquoi je me propose de partager avec vous mes analyses et les conclusions auxquelles je suis parvenu.

Il me paraît essentiel de commencer par rappeler tout à la fois les engagements pris par le président YAYI et l’état de la démocratie béninoise lors de sa prestation de serment.

 Les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient, nous apprend la malicieuse boutade. Mais le parjure qui se dérobe de la sorte ne doit pas ignorer qu’il est toujours attendu sur les lieux du forfait. De plus, en Afrique, nous savons à quel point le faux serment, le mensonge et la duperie sont honnis, l’escroquerie politique ne faisant évidemment pas exception. Néanmoins, je ne tiendrai pas rigueur de tout  ce que l’on a fait miroiter pendant la campagne électorale ; je me contenterai des seules promesses faites ou renouvelées  après la prise de fonction du président YAYI, étape à partir  de laquelle l’intéressé semble avoir pris conscience des enjeux et des contraintes du pouvoir.

 

I- ETAT DES ACQUIS ESSENTIELS DE LA DEMOCRATIE BENINOISE ET DE LA BONNE GOUVERNANCE AVANT LE  PRESIDENT YAYI BONI.

Chaque élection intervient dans une conjoncture particulière, dont les défis, politiques ou socio-économiques mais toujours spécifiques, inspirent et orientent le choix du candidat le plus apte à les relever, celui-ci devenant ainsi une résultante de la situation.

Avant l’avènement de Boni YAYI en 2006, le Bénin de l’ère démocratique avait connu successivement deux présidents élus au suffrage universel, Nicéphore SOGLO et Mathieu KEREKOU qui ont, tour à tour, reçu du peuple des missions différentes conformes aux profondes aspirations nationales de l’heure.

Le président SOGLO prenant, en 1991, les rênes de l’Etat au sortir de la cessation de paiement, devait  continuer le travail entamé sous la transition alors qu’il était Premier ministre. Il avait donc mandat, selon sa propre formule si lucide, de remettre le pays au travail, d’assainir les finances publiques, de  rétablir, avec le concours du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, les grands équilibres macro-économiques, et d’amener le pays à renouer avec la croissance. Ce jargon d’école signifie pour le peuple, que le nouvel élu devait gérer le pays de façon que l’on paye régulièrement les salaires des travailleurs, que les affaires reprennent, que les paysans écoulent leurs produits,  que le chômage recule, que  la dette intérieure soit soldée, que les bailleurs regagnent confiance sachant que le Bénin peut désormais honorer sa dette extérieure, etc.

L’on doit, à l’inventaire, reconnaître que Nicéphore SOGLO a, en un seul mandat, tenu le pari, n’en déplaise à ceux qui estiment qu’il a bénéficié de facilités comme les primes à la démocratie.

Mais la mission de Nicéphore SOGLO comportait un second volet, purement politique,  qui s’est bien vite révélé capital pour la classe politique, ainsi que pour de larges couches en plein éveil républicain. Il s’agit de la préservation des acquis politiques de la Conférence nationale des forces vives de février 1990. Le président SOGLO devait installer, respecter et assurer le fonctionnement harmonieux des institutions de la République (institutions de contre-pouvoir) dans le respect des règles démocratiques édictées par la Conférence nationale et la Constitution du 11 décembre 1990 qui en est issue. Il devait, en somme, entretenir l’atmosphère de démocratie apaisée voulue par le peuple béninois.

 Nous savons ce qu’il en est advenu. La classe politique comme la société civile, tout en reconnaissant les incontestables réussites économiques, s’est aperçue que le président  SOGLO s’écartait dangereusement des objectifs de ce second volet de sa mission. Il est vrai que la dérive autocratique  gagnait progressivement le quinquennat, émaillée d’épisodes conflictuels entre les institutions de la République, puis entre le pouvoir et les formations sociales, jusqu’à la rupture consommée du consensus de la Conférence nationale.

Un front se profile sans tarder, aux allures de croisade démocratique, pour rechercher l’homme qui pouvait à la fois,

– consolider les tendances économiques réalisées sous SOGLO,

– assurer la (re)mise sur orbite, de façon rassurante pour tous, du jeu démocratique, et traduire en actes toutes les recommandations politiques et économiques de la Conférence nationale.

 A l’issue de l’élection présidentielle de 1996, Mathieu KEREKOU est désigné pour conduire ce chantier.

Lorsqu’en 2006 le président KEREKOU quittait le pouvoir, les Béninois ont reconnu  l’œuvre accomplie et l’on pouvait considérer comme acquis pour le Bénin :

–        le maintien de la croissance économique ;

–        l’assainissement des finances publiques ;

–        la bonne gouvernance démocratique, c’est-à-dire la tenue régulière des élections et l’installation à bonne date de toutes les institutions ;

–        le strict respect de la séparation des pouvoirs (dans les faits et l’esprit) ;

–        le respect scrupuleux de la liberté d’expression et d’association ;

–         le libre accès aux médias publics ;

–         l’extinction du régionalisme et du tribalisme ;

–        l’avancée de la lutte contre la corruption.

L’on peut donc affirmer qu’en 2006, l’équilibre économique hérité de SOGLO est stabilisé et la machine  démocratique parfaitement huilée, au mérite incontesté du double quinquennat de KEREKOU.

 Il faut toutefois noter que, vers la fin du second mandat de KEREKOU, la corruption reprenait  de l’ampleur et nécessitait, de ce fait, de nouvelles stratégies, plus coercitives. De même, se dessinait une sorte de lassitude et d’appréhension face à un jeu politique peu attrayant. La question était désormais de trouver un leader qui accorderait la priorité au développement économique dans la mesure où il n’y avait plus d’enjeu réel en matière de gouvernance politique.

Dès lors, le successeur de KEREKOU avait pour mandat de mener une lutte efficace contre la corruption, de préserver les acquis politiques (fonctionnement de la démocratie et de l’Etat de droit), et d’utiliser la rampe que constituaient la stabilité économique et la crédibilité du pays pour réamorcer le développement du Bénin.

Il n’est guère étonnant que le thème du changement brassé dans les discours de plusieurs candidats ait retenu l’attention. De tous ces messages, celui de YAYI Boni aura le plus séduit parce que l’homme était  tout nouveau sur la scène politique et venait d’une institution spécialisée dans le financement du développement, qui était au centre des préoccupations des Béninois.

Acteur politique moi-même, je concède volontiers la tentation démagogique à tout discours électoral et n’en fais donc pas grief à YAYI. Allons droit à l’essentiel : je m’en tiens aux seules promesses de campagne réitérées après l’élection. Que sont devenus ces engagements, en termes de résultats concrets, mais aussi d’impact sur les opinions ? Le bilan permet-il de renouveler la confiance au candidat du « changement » ?

 Mais, d’abord, quels sont ces engagements ?

II- RAPPEL DES PRINCIPAUX ENGAGEMENTS DU PRESIDENT BONI YAYI EN 2006

En réponse aux attentes des Béninois en 2006, le Président YAYI a promis avec insistance, entre autres :

–        l’élévation du taux de croissance de l’économie béninoise à un niveau à deux chiffres ;

–        la vente du carburant au même prix qu’à la pompe au Nigéria ;

–        la lutte implacable contre la corruption (illustrée par la « marche verte ») ;

–        le paiement au paysan sur place, au moment même de la vente du coton, du montant équivalent de son produit ;

–        l’accroissement de 400 000 à 600 000 tonnes de la production de coton ;

–        la gouvernance concertée avec la classe politique, la société civile et les autres acteurs sociaux ;

–        le respect de la Constitution (il a prêté serment) ;

–        la préservation de l’unité nationale ;

–        la transparence dans la gestion des affaires de l’Etat ;

–        l’assainissement des finances publiques ;

–        l’approvisionnement suffisant en eau et en électricité à un prix abordable grâce aux connections internationales et à l’usage du gaz ;

–        la sauvegarde de la liberté et de l’indépendance de la presse.

Quelles sont les performances du gouvernement du changement de YAYI Boni sur ces différents points et quelles leçons en tirer ?

 

LES PERFORMANCES DU GOUVERNEMENT DU CHANGEMENT DE YAYI BONI

A- La croissance économique

1- Pour l’entendement commun, indiquons simplement que le taux de croissance est la mesure de l’augmentation de la richesse d’un pays ; c’est la proportion dans laquelle chaque Béninois voit augmenter la valeur de son activité de production. Le taux de croissance avoisinait 5% lors de l’alternance en 2006. YAYI avait alors juré de l’élever  à un niveau  à deux chiffres, c’est-à-dire à au moins 10%, proclamant à l’envi le passage du Bénin au rang des pays émergents. A ce signal, tous les discours officiels s’égrènent désormais aux accents de « l’émergence », au point qu’un ministre des Sports a tenté de changer le nom de notre équipe nationale de football en un nom d’animal émergent. Aujourd’hui, à moins d’un an de la fin du changement, le taux de croissance s’écrase en dessous de 3%. La performance du changement  sur ce point de toute première importance, rame bien en- deçà du niveau qu’il avait lui-même défié, les 5,1% de KEREKOU : le pays est incontestablement immergé, la rhétorique populiste n’a guère produit le miracle annoncé, tant s’en faut !

A la comparaison, notre situation en devient encore plus inexplicable car, selon l’indice de croissance, le Bénin se classe aujourd’hui (et ce pour la première fois depuis le retour au libéralisme en 1990) parmi les plus faibles de la sous-région : même notre voisin, le Togo, qui ne s’est pas encore rétabli de plus de dix ans d’embargo économique, se porte mieux que nous. Notre économie s’apparente à celle d’un pays en guerre.

B- La lutte contre la corruption et la moralisation de la vie publique

2- Les Béninois se souviennent comme d’hier, de la « marche verte » du Président contre la corruption, du déferlement médiatique provoqué sur des simulacres d’inspection financière dans les administrations, de la verve du nouveau pouvoir  contre « l’argent facile » et l’enrichissement illicite, etc. Nous avons tous en mémoire les accents angéliques de l’adresse présidentielle au corps des douanes réputé corrompu : «Avec tant de biens mal acquis, dans combien de maisons pouvez-vous dormir à la fois ? », ainsi moralisait-on nos émules de St Mathieu, les douaniers. Et tant d’autres séquences d’une fervente campagne théâtralisée à souhait.

L’état des lieux, aujourd’hui, montre que la lutte contre la corruption a baissé la garde ; elle s’est  essoufflée au point de disparaître pratiquement du discours politique. L’explication réside, avant tout, dans le fait que la conduite des leaders du changement est bien loin de prouver leur propre virginité morale si imprudemment mise en scène. La célèbre allégorie à la Bruno AMOUSSOU, du passage de la cuillère à la louche, en clair, de l’ancienne corruption à la nouvelle, en dit long sur la sincérité du  « changement », plus exactement du « changemange », dans la prétendue cure morale.

Au demeurant, disons-le tout cru, aujourd’hui plus que jamais au Bénin le poisson pourrit par la tête. Et l’enchaînement des scandales financiers impliquant les hautes autorités du pays vous donne l’impression d’être dans un pays gouverné par une équipe truffée de kleptocrates.

Voyons :

3- En sa qualité de premier magistrat du pays, le chef de l’Etat est tout désigné pour conduire en personne la guerre contre la corruption et l’impunité comme le président YAYI l’a lui-même souverainement revendiqué. Il porte ainsi l’ultime espoir d’une immense majorité de Béninois qui a cru en lui pour rétablir les valeurs civiques, en particulier le respect du bien public et la protection des deniers de l’Etat. Eminente  responsabilité qui vaut surtout privilège moral, mais pas seulement : la somme des gratuités et avantages consentis par la nation à la fonction de chef de l’Etat, devrait mettre le tenant du titre à l’abri de la tentation. Au surplus, la République a concédé au président YAYI une augmentation considérable de son salaire ainsi porté à un niveau hors de proportion avec celui de ses prédécesseurs.

 Vaines précautions car rien de tout cela n’a empêché notre auguste pèlerin de la vertu, de s’offrir sous le regard incrédule des Béninois, peu après son entrée en fonction, un parc de propriétés que ses seuls émoluments ne peuvent jamais justifier : un luxueux édifice évalué à plus d’un milliard de francs à Djougou, un autre bien plus cossu à Parakou, la spectaculaire extension de la modeste demeure de Tchaourou en une superbe hacienda, l’annexion de plusieurs habitations rachetées autour de la résidence de Cadjèhoun à Cotonou… ; des rumeurs, que l’on souhaiterait infondées quoique relayées par la presse, font état d’autres acquisitions…jusqu’en Europe. De même, notre président multiplie au rythme de ses sorties les libéralités à la MOBUTU pour des montants absolument incompatibles avec ses revenus licites.

Un préjugé, certes moins vivace chez nos concitoyens que sous d’autres cieux, croit naïvement que le statut du président de la République lui vaut d’office une fortune personnelle légale. Une autre opinion, encore plus indulgente,  concède au « souverain » le droit  même au gain illicite « raisonnable » comme le permet, semble-t-il, l’usage dans notre chefferie traditionnelle. Mais précisément nous sommes en république et de telles croyances sont vécues normalement ailleurs qu’au Bénin, tous nos présidents depuis l’indépendance nous ayant habitués à la modestie et à la sobriété, parfois extrêmes comme chez un KEREKOU. Le président YAYI lui-même, pour l’avoir habilement instrumentalisée durant la campagne, doit sa légitimité à cette exception béninoise chevillée à la moralisation de la vie publique, à la justice, à l’équité. C’est pourquoi cette accumulation fébrile de biens scandaleusement étalés au cœur de la pauvreté ambiante, disqualifie entièrement notre « premier magistrat » pour mener la lutte contre la corruption. A moins de prouver publiquement, comme le prescrit d’ailleurs la Constitution, qu’un chef d’Etat béninois en exercice, fût-il ancien fonctionnaire de la BOAD, peut se prévaloir d’une subite fortune personnelle aussi colossale sans une gestion opaque des fonds publics telle que pratiquée par l’actuel quinquennat.

4- A la stupeur générale s’est produit à ciel ouvert le scandale dit de la CEN-SAD, mettant au jour une hallucinante constellation de mécanismes de fraude : exonérations indues, surfacturations exorbitantes, paiement de prestations fictives, pour un montant de plusieurs milliards de nos francs. C’est sous les feux croisés des critiques et la salve des interpellations élevées par l’opinion, le parlement et les bailleurs de fonds, que le gouvernement lui-même finit par lever un coin de voile sur ce réseau d’infamies, avouant que des gants ont été achetés à 90 000 FCFA la pièce, des imperméables pour motard à plus de 300 000 FCFA l’unité, que des marchés de travaux publics ont été attribués à des sociétés non qualifiées ou créées à la commande,  sans compter les distributions gracieuses ou arrangées (jamais démenties) de villas construites à l’occasion de la CENSAD, au profit de hautes autorités …Ce n’était pourtant que le bout de l’iceberg : a-t-on évalué les pertes abyssales causées au Trésor public par les franchises douanières  accordées au titre du sommet à des sociétés affidées pour d’immenses cargaisons  tranquillement emmagasinées et ensuite déversées sur le marché béninois et qui ont permis à des commerçants proches du pouvoir de réaliser avec ces stocks maffieux de miraculeux surprofits ? Et les marchés de gré à gré qui ont émaillé ce dossier ? C’est en fait, le dossier qui a le plus anémié et déséquilibré les finances publiques du pays. Et pour épilogue, qui est-ce qui, en définitive, a été puni pour un seul de tous ces forfaits ? A ce jour, personne !!!

5- Le détournement de dizaines de milliards de francs a été rapporté par une mission de contrôle sur la gestion de la Société nationale de promotion agricole (SONAPRA), mettant en cause le directeur général d’alors, M. Nicaise FAGNON, homme de main du président YAYI. Il ne s’en est suivi que silence du gouvernement ; puis M. FAGNON est  promu sans la moindre gêne au poste de ministre du prestigieux département des Travaux publics et des transports. Cette affaire constitue pourtant l’une des causes majeures de l’effondrement sans précédent du secteur coton, le principal pourvoyeur d’emplois  du monde rural, et dont la SONAPRA détenait le monopole. Dans la même période, le Mali et le Burkina Faso façonnaient chez eux la prospérité de la filière coton.

6- Le même mutisme gouvernemental avait précédé les assauts du Parlement à propos du monumental trafic sur l’achat de tracteurs pour un projet dit de «révolution verte ». Le député Janvier YAHOUEDEOU montre au public les preuves accablantes de surfacturations astronomiques de l’ordre de 300% : les machines de rêve, acquises  à 2 ou 3 millions l’unité, sont revendues à l’Etat respectivement à 9 et 12 millions de francs par des sociétés créées de toutes pièces, comme par hasard, à la veille de l’ouverture du marché. Il ne vous a pas échappé que c’est au bout  de cette pêche miraculeuse que, par groupes, tous les ministres du gouvernement sont lancés à travers le pays à la recherche… de terres à l’usage de ces mêmes engins. Autrement dit, les tracteurs sont acquis sans la moindre étude pédologique, sans que l’on sache où et quels sont (s’ils existent) les sites à exploiter. Moderniser l’agriculture pour le président YAYI, comme on le constate, se limite à acheter des tracteurs. Bien plus extraordinaire, lesdits tracteurs, dont l’inadaptation continue de faire polémique, sont en majorité acquis par des fonctionnaires et autres intrus sans la moindre ressemblance avec la paysannerie, présumée bénéficiaire du projet. Le gouvernement KEREKOU, qui avait négocié auprès du FIDA ce crédit de 21 milliards de francs aujourd’hui malmené de la sorte, a dû pourtant léguer les dossiers appropriés ! Les choses ont en effet « changé ».

7- Deux années durant, de 2006 à 2008, nul ne savait où étaient logés les fonds de l’escorte des véhicules d’occasion, car en violation flagrante du principe sacro-saint de l’unicité de caisse, ces recettes n’étaient ni versées au Trésor public, ni budgétisées. Le président lui-même, en arrachant cette activité à la société « Défi Emploi Jeunes » au profit, disait-il, des finances publiques, évaluait les recettes à 3 milliards de francs par mois. On pouvait donc escompter 66 milliards d’un bilan de 22 mois. Dans un laborieux exercice télévisé, sous la contrainte de l’opinion publique et des chancelleries étrangères, le gouvernement finit par exposer un montant total encaissé de 27 milliards qui seraient domiciliés sur un compte hors budget à la BCEAO de Cotonou (dirigée à l’époque par le beau-frère de YAYI). Nous sommes informés par la même occasion que ce fonds est destiné au financement du microcrédit. Chacun peut apprécier le modèle de transparence. Pour épilogue, ces recettes ne seront enfin budgétisées qu’en 2009, sous forte pression parlementaire.

8- S’agissant précisément du microcrédit que l’on brandit comme le fleuron du changement, avons-nous oublié que cet outil économique fonctionnait à merveille avant que le régime actuel ne le précipite dans une gestion nébuleuse pour  le transformer en moyen de propagande électorale ? Le résultat montre sans équivoque que le microcrédit à la YAYI, enclin à la passion et à l’agitation, loin de libérer la femme de la pauvreté, consacre la misère des couches défavorisées. Avant le « changement », une gamme variée d’institutions parapubliques et privées gérait avec professionnalisme la micro-finance. L’une d’elles, le PADME, avait pour directeur général le nommé AZOCLI. Cet éminent cadre est publiquement félicité en 2008 par le gouvernement de YAYI à l’appui d’une distinction internationale qu’il vient de recevoir à Rome. Peu après, notre lauréat se voit subitement déchu de son poste et remplacé à la hussarde par le même gouvernement, dans un feuilleton des plus ténébreux. Les  tribunaux ont beau dire le droit en sa faveur, le changement n’en a cure, le but est atteint : confisquer la micro-finance pour en faire une machine à gagner l’électorat. Quelle émotion que d’écouter sur nos antennes la complainte d’un AZOCLI brisé par l’arbitraire et l’iniquité, mais stoïque et confiant lorsqu’il prophétise en ces mots : « Ils ont pour eux le mensonge et la force ; nous avons pour nous le droit et Dieu » ! Dieu semble l’avoir bien entendu, car des faits, moins de deux ans après, ont rattrapé le gouvernement de YAYI. Une mission officielle vient de publier son rapport d’inspection au PAPME, une autre institution semblable au PADME : neuf milliards de FCFA  en cause (en clair,  volatilisés !), des crédits accordés sur simple intervention, 2% de taux de recouvrement…Incroyable ! Une véritable tragédie financière. L’opinion  se mure de plus en plus dans la certitude que le financement des marches de soutien au régime et l’enrichissement illicite des autorités du pays (et même du chef de l’Etat) proviennent de ce genre de malversations : il est établi que les directeurs généraux des sociétés et offices d’Etat sont les financiers et chefs d’orchestre des marches de soutien au président qui en fait un critère majeur  de leur nomination et de leur mérite professionnel.

9- Tout près, sous nos yeux, l’affaire ICC-Services. Dans ce dernier dossier, le gouvernement, nous dit-on, n’est pas l’initiateur du nouveau mirage. Mais il est évident que c’est sous le regard bienveillant et rassurant des autorités gouvernementales qu’à découvert, dans les espaces publics comme à domicile, cette société implantée au Bénin a procédé à des collectes de fonds auprès des pauvres Béninois en leur faisant miroiter des taux d’intérêt absolument irréalistes (de l’ordre de 100 à 200% en moyenne l’an), sur la base de contrats de placement régulièrement signés. Près d’un million de Béninois sont concernés.  Les organisations de ce genre sont estimées à une quarantaine au Bénin et les montants en jeu, pour ICC  seul, à plus de 100 milliards de francs. Visiblement exposés aux éclaboussures, le gouvernement et son chef, comme toujours à l’heure de vérité, jouent les Ponce Pilate et tentent de prendre leurs distances en faisant croire qu’ils ignorent tout de l’affaire. Mais voyons :

– Les audiences officielles empreintes de convivialité où nos dirigeants à tous les niveaux accueillent les promoteurs d’ICC-Services avaient bien de quoi rassurer le peuple par rapport à la crédibilité de ces opérateurs d’un profil particulier. Le gouvernement ne saurait s’exonérer de cette imprescriptible responsabilité.

– Quel est le rôle de l’Etat si ce n’est de protéger sa population contre l’insécurité ? L’insécurité  ne provient pas seulement des braqueurs qui, du reste, narguent tous les jours la puissance publique, mais aussi des arnaqueurs et de toute menace ou atteinte au patrimoine et à la propriété des Béninois. L’Etat dispose d’organes d’investigation et de répression de la fraude financière auxquels ce régime recourt volontiers pour punir les présumés faussaires. Et comment n’a-t-on pas investigué avant de laisser faire cette société ?

– Comment, après la crise financière américaine dont les sources ne sont pas loin des pratiques du genre, les autorités béninoises peuvent-elles ouvrir leurs portes à  de tels malfrats venus asphyxier nos institutions financières qui, du coup, en raison de leur faible taux de rémunération (trente fois inférieur aux offres miraculeuses), apparaissent aux yeux des déposants comme le lieu de l’escroquerie légale ? Nous nous targuons pourtant d’avoir un gouvernement de banquiers chevronnés…

– Comment ce même gouvernement qui, il y a peu, se prévalait de la prérogative de puissance publique pour la protection des épargnants du PADME, au point de révoquer et de remplacer au pied levé le directeur général de cette société, peut-il prétendre n’être pas au courant des activités d’une entreprise du même ordre, au demeurant moins crédible, voire suspecte ?

– L’avoir dit ainsi prouve l’incapacité du chef et de son gouvernement à veiller sur la sécurité financière des Béninois ;  de surcroît, elle confirme chez nos dirigeants actuels le réflexe du déni et de la dérobade devant la difficulté et l’échec. Les membres du gouvernement feraient mieux de garder le silence car le plus naïf des Béninois, y compris les membres du gouvernement eux-mêmes, ne peut croire à leur innocence dans cette affaire.

– L’argent du contribuable semble en voie d’être utilisé pour rembourser les victimes de ICC Services. Ils sont illégaux, nous dit-on ; alors pourquoi recourir aux fonds publics pour couvrir l’illégal si on a la conscience tranquille ? Comme si une odeur de souffre répandait l’urticaire au sommet de l’Etat… Quelle infamie !

– Etonnante rumeur par ailleurs, les propriétaires de ICC affirment que l’Etat ne peut rien contre eux. Sans doute connaissent-ils leurs accointances avec les autorités de l’Etat. « Si l’éléphant se permet d’avaler un morceau de tronc de palmier sec, c’est qu’il fait confiance à son tube digestif ». L’adage dendi est d’une cinglante actualité car, encore une fois, sous la pression des critiques et des victimes, l’un des  plus influents et proches du chef de l’Etat, le ministre de l’Intérieur Armand ZINZINDOHOUE (éminent diacre, entendez vice-pasteur) vient d’être limogé pour, semble-t-il, avoir trop  mangé  du gâteau mielleux de ICC Services dont l’un des ingrédients serait une maison. L’opinion sait que la vague des limogeages, qui a commencé par  celle du procureur général pour légèreté (il s’en défend encore), ne saurait s’arrêter là ; car ceux qui ont favorisé,  crédibilisé l’installation et soigné l’image de ICC Services depuis quatre ans, sont encore peinards. Et dans ce registre, le président YAYI, chef de l’Etat, qui a, lui aussi, donné son onction morale par des audiences publiques à ICC Services, puis, selon une rumeur persistante, des visites privées (en hélicoptère) à ses promoteurs, ne saurait se dérober au légitime soupçon de l’opinion.

– Face à la marée, l’on comprend aisément la tentative de dériver l’attention publique vers d’autres sujets, en l’occurrence « la refondation de la République » : vaine manœuvre ! Il fallait, pour y réussir, quelque chose comme gagner la coupe du monde de football.

– Les Béninois sont encore plus éprouvés d’apprendre que ICC Services n’est  que l’une des nombreuses créations du genre installées au Bénin et qui, inévitablement, connaîtront bientôt le même sort. Pourtant la Banque centrale et les banques primaires avaient maintes fois sonné l’alarme auprès des autorités. Depuis au moins deux ans !!!

Nous sommes aujourd’hui au Bénin en présence d’une autre affaire MARDOFF; aurions-nous  un nouveau BUSH au pouvoir ? En tout cas, ce dossier ICC Services aura révélé un degré de corruption au sommet de l’Etat jamais atteint dans ce pays.

Voyez çà ! C’est le nouveau Bénin !!! Et trouvez-moi les autorités qui peuvent parler de la moralisation de la vie publique.

10- Reniant ses propres engagements, le président n’a pas hésité à nommer dans son gouvernement plusieurs ministres  poursuivis en justice pour des  malversations  antérieures commises dans d’autres structures publiques.

11- Inédit et insolite ! Vous vous souvenez des débats animés par de grandes figures de la politique béninoise qui fustigeaient la vénalité du suffrage et le commerce du vote,  en langage populaire « l’achat des consciences » réprouvé de tous. Voici, depuis l’avènement du changement,  l’exemple que donne le président YAYI en  se promenant sans arrêt pour distribuer ouvertement des sommes faramineuses à des groupes de toutes catégories qui n’ont rien demandé, rien fait pour mériter un don, …du moins, ont-ils marché, dansé, ou boudé le président. Quant à la célébration religieuse et à la sainte  prière, que dis-je, les confessions religieuses en leur entier, elles répondent désormais, elles aussi,  au même traitement ! Avec YAYI, l’argent achète les âmes.

Où est passée notre fierté ? Où sont tous ces anciens Présidents, ces enseignants émérites, ces religieux exemplaires, ces devanciers politiques qui ont si ardemment pratiqué et nous ont enseigné la morale politique, le patriotisme désintéressé …, la morale tout court ? Il n’est donc pas possible d’agir pour se dissocier de cette vision corruptive de l’avenir de notre pays ? Je m’inquiète, car des références de ce combat comme Anne Cica ADJAI, Albert TEVOEDJRE, Robert DOSSOU…, semblent s’inviter allègrement dans la danse. En tout cas, ces faits jettent le discrédit sur toute prétention du gouvernement à lutter contre la corruption.

 La machine de la lutte contre la corruption s’est manifestement rouillée sous le « changement ».

C- La performance agricole

12- Dès son arrivée au pouvoir, fort du soutien de tous, le Président YAYI s’est engagé à porter à 600 000 tonnes la production du coton qui était de 426 000 tonnes la saison qui précédait sa prise de pouvoir. Mais depuis, on n’a jamais enregistré plus de  270 000 tonnes  au point de se retrouver, quatre ans après, en dessous de 150 000 tonnes. Dans toutes les langues, cela s’appelle échec total. Car la volonté du paysan, la terre et les pluies n’ont pas fait défaut. La responsabilité doit être recherchée dans les coûts prohibitifs des intrants ou la gestion de l’approvisionnement, la commercialisation,  les soubresauts dans la privatisation des outils de la SONAPRA, et surtout la forte ingérence et les injonctions dirigistes de l’Etat à travers la politisation des organisations de producteurs. En effet, pour la première fois au Bénin, un décret  présidentiel vient imposer aux paysans les critères du choix de leurs dirigeants.

13- Nous avons tous suivi sur les écrans de télévision en 2006 la tournée du président YAYI et sa promesse de faire payer les paysans au même endroit où ils vendent leur coton. Il avait même ridiculisé son ministre de l’Agriculture qui tentait d’émettre des réserves à la faisabilité de la chose. A ce jour, tout se passe comme si rien n’avait jamais été dit ni promis, et le paysan n’en conçoit que plus d’amertume et de dégoût, à quoi s’ajoute l’aggravation de la perte de confiance. Tout l’effet d’un mensonge d’Etat aux paysans.

14- La tentative de mécanisation agricole, belle initiative s’il en est, traîne sous nos yeux  son cortège sulfureux de scandales financiers qui n’en finissent pas d’interpeler la conscience collective sur les motivations réelles de l’initiative elle-même.

15- L’élément le plus inquiétant de la politique agricole du « changement », c’est la place accordée à l’agriculture dans l’économie de notre pays. Alors qu’il est reconnu et clamé par tous que l’agriculture est le moteur de notre développement, bien que le Bénin ait signé avec l’ensemble des pays africains l’accord de MAPUTO selon lequel il doit être affecté au moins 10% du budget à l’agriculture et que, de surcroît, avec les pays de l’Afrique de l’Ouest le Bénin s’est engagé à porter ce taux à 15%, comment comprendre que le gouvernement de YAYI n’y ait alloué que 4,7% de son budget de cette année alors que les dépenses non affectées (un peu comme les divers ou dépenses à préciser) reçoivent  plus de 12%. A ce compte nous devons prendre acte du désengagement de l’Etat du secteur de l’agriculture. Nous avons reculé.

D- Le respect de la Constitution

L’obligation la plus importante énoncée  dans le serment d’investiture du président de la République au Bénin est celle de respecter la Constitution et les lois de la République. A ce sujet, vous aurez noté avec moi les actes et les faits suivants commis par le président YAYI durant son mandat :

16- Les élections communales tenues en 2008 n’ont pas été suivies de l’installation à date, conformément à la Constitution et aux lois de notre pays, des conseils communaux dans des circonscriptions où la liste FCBE du président n’a pas gagné, au motif qu’il faut attendre l’examen des recours de ses protégés, par la Cour suprême alors même que, selon la loi, les recours ne sont pas suspensifs de l’installation des conseils communaux. Le président YAYI a donc fait bloquer l’installation par l’autorité préfectorale, celle-là même qui, selon la loi, doit procéder à ladite installation. Malgré les protestations et les démarches de personnalités béninoises et internationales pour le raisonner et lui faire appliquer les textes, le président est resté cramponné à l’illégalité. Et lorsque le verdict de la Cour suprême est défavorable au FCBE, le président  maintient le blocus pour exercer des pressions sur les gagnants afin de s’assurer le contrôle de la mairie avant l’installation du conseil. A ce jour, plus de deux ans après le scrutin, des conseils locaux ne sont toujours pas installés. Cette situation confirme le mépris et l’exploitation opportuniste de la Constitution par le président YAYI.

17- Lorsque la Cour suprême a  confirmé la destitution du maire de Natitingou Adolphe BIAOU, le préfet (représentant du président YAYI) l’a fait maintenir jusqu’à la fin de son mandat en violation flagrante de la Constitution. Le cas de GBADAMASSI à Parakou peut s’ajouter à la liste.

18- Quant à cet autre pilier de notre démocratie constitutionnelle, l’indépendance du pouvoir judiciaire, vous en devinez le sort sous le régime du changement aux incursions répétées de l’exécutif dans les décisions de justice. Dès l’orée du quinquennat, c’est sur ordre du président de la République notifié à la police par message manuscrit signé du directeur de cabinet Nestor DAKO, ce magistrat nostalgique de la lettre de cachet, qu’il est procédé à l’incarcération de Séfou FAGBOHOUN ; puis le gouvernement interfère à nouveau pour multiplier par 1000 le montant fixé par le juge pour la caution de mise en liberté provisoire, ainsi portée de 5 millions à 5 milliards de francs. Ces intrusions illégales et anticonstitutionnelles sont à l’origine d’arrestations arbitraires ou d’entorses à la règle et à la procédure judiciaire : Simon ADOVELANDE, le maire de DANGBO, le député Antoine DAYORI, vice-président de l’Assemblée nationale, et tant d’anonymes identifiés comme des obstacles politiques virtuels. L’intégrité du Conseil supérieur de la magistrature et même la carrière de certains magistrats ont directement pâti de telles immixtions, comme  dans l’affaire GBADAMASSI (assassinat du juge COOVI). Les exemples du genre sont innombrables sous notre démocratie monarchiste.

19- Le président de l’Assemblée nationale, chef d’une institution de contre-pouvoir, n’hésite pas à représenter le chef de l’Etat à un meeting politique ! La Cour constitutionnelle, l’autorité chargée de veiller au respect de la Constitution, a été choisie de façon à servir aux ordres du président de la République et les actes le confirment bien. Le président de la Cour (et il n’est pas le seul) affiche son appartenance au FCBE, la coalition présidentielle. Il apparaît aux yeux de tous comme un arbitre joueur. Nous sommes loin de la période où l’arbitre était rassurant.

20- Il y a plus grave : le président de la Cour constitutionnelle et un membre influent de ladite Cour font  partie des éminents rédacteurs de notre Constitution, des grandes figures de la Conférence nationale dont elle est issue, et des fervents précurseurs de cette Conférence ; aujourd’hui nommés à la garde de la Loi fondamentale, le saint des saints de notre République, cette Constitution qui est leur propre œuvre, les voilà qui, d’une muette approbation, acceptent docilement  qu’elle soit violée par celui-là même que la nation a élu pour en être le garant suprême. Que reste-t-il de la République ?

E- La préservation de l’unité nationale

J’éprouve une réelle étreinte  à m’exprimer sur cette question parce qu’à mon sens, de tous les maux imputables au régime YAYI, la réouverture de la plaie du régionalisme, depuis longtemps oubliée comme une honte, est la défaillance gouvernementale la plus grave, elle relève de la forfaiture. Ce débat passionnel gagne déjà la rue sous sa forme la plus redoutable, au grand péril de l’unité nationale. Je cherche en vain de quoi disculper le président YAYI et son gouvernement de la résurgence de ce fléau, mais les faits restent désespérément accablants.

21- GBADAMASSI Rachidi, dissident du groupe politique G13, entreprend dans le Nord une tournée sous forte escorte militaire (appuyée, me dit-on, d’une discrète surveillance des services du renseignement). Partout, l’étrange émissaire est reçu avec les honneurs de la République, à la diligence des autorités préfectorales, des élus locaux et même des chefs de la formation politique  présidentielle. Et à chacune de ses escales, il profère à l’encontre des opposants de violentes diatribes soigneusement choisies et diffusées par la télévision, vouant aux gémonies son ancien groupe, le G13 dont il s’est démarqué, à ses dires, pour avoir découvert que celui-ci entrait dans un complot des ressortissants du Sud visant à opposer entre eux les fils du Nord. La candidature de Abdoulaye BIO TCHANE à l’élection présidentielle de 2011 serait ainsi suscitée, à l’en croire, par le Sud pour affaiblir Boni YAYI en divisant l’électorat du Nord. Lui, GBADAMASSI, s’engageait donc aux côtés du président YAYI pour déjouer la conspiration du Sud contre le Nord. Ce brûlot a été relayé des semaines durant par les média sans que les autorités s’en émeuvent, pas même l’organe constitutionnellement chargée de l’éthique de la communication, la HAAC, Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication. Le président YAYI, nous le savons, n’a pas objecté ; au contraire, GBADAMASSI, désormais encadré d’une forte garde armée, est devenu une icône du FCBE, la formation politique du président. Et le refrain régionaliste a continué  d’être chanté ; et ce qui devait arriver arriva, en pire : la riposte des gens du Sud, illustrée dans le retentissant discours de l’honorable Rosine SOGLO à l’Assemblée nationale, puis d’autres plus pernicieux.

22- Le syndicat des agents du ministère des Finances a publié une liste des nominations aux postes de la haute fonction publique en mettant l’accent sur la dominante régionaliste, voire tribaliste, qui les caractérise. Depuis, aucune réaction n’a été enregistrée de la part du gouvernement et la tendance est restée inchangée.

23- Je suis de ceux qui pensent que le développement d’un pays, donc  du Bénin, doit se faire en observant une certaine harmonie et  l’équilibre interrégional afin de réduire les écarts susceptibles de créer des frustrations. Après tout, bien des nations, grandes ou petites, ont dû, au moyen de politiques volontaristes et consensuelles, procéder à de telles corrections par la méthode dite de « discrimination positive ». Mais le confinement de la problématique dans une optique politicienne purement tribaliste et régionaliste telle que nous le subissons actuellement, est inadmissible dans la mesure où il consacre l’hégémonie d’une région sur une autre ou d’une tribu sur les autres, surtout dans des domaines aussi sensibles que la promotion sociale.

Ce bref aperçu nous montre comment, en si peu de temps, la tempête du changement a vandalisé  les trésors du contrat social et de la concorde républicaine nés de la Conférence nationale. Le pays est, sur le plan de l’unité nationale, en train de glisser sur une pente périlleuse qu’il va falloir  redresser au plus vite : ensemble, conjurons l’inacceptable avant que ne se referme sur nos silences complices, étourdis ou anesthésiés, le piège infernal de la déraison qui conduisit à l’impensable sous d’autres cieux.

F- La liberté d’expression et  d’association

La plus grande victoire de la Conférence nationale est la conquête des libertés. C’est la chandelle de tous les sacrifices subis ou consentis avant cette Conférence : la nostalgie de l’exil, le supplice de la torture, la bestialité des prisons et, au bout de nulle part,… la mort. Chacun a donné de soi pour pardonner et construire une société dans laquelle les droits humains seront respectés. C’est dire que nous n’avons rien hérité de mieux de nos aînés que le droit de nous exprimer, de nous associer, et donc de ne pas être inquiétés pour nos choix politiques ni pour nos opinions. Mais quatre ans après l’avènement du pouvoir   YAYI, que reste-t-il de ce précieux legs ?

24- Quand vous n’êtes pas membre de la famille FCBE, vous subissez des persécutions dans vos affaires, dans votre travail… Essayez d’entretenir un  fonctionnaire de la situation politique, il vous parlera sous cape de peur d’être persécuté par son chef.

25- Elles sont légion parmi nous, les personnes qui ont choisi autre chose que le FCBE et qui, pour cela, ont été affectées spécialement loin de leur milieu ou simplement licenciées sous des motifs  qui cachent très mal la vérité.

26- Si vous êtes de l’opposition ou seulement suspecté tel, votre réunion est purement et simplement interdite et tout est mis en œuvre, y compris la force, pour qu’elle ne se tienne pas. Lorsqu’on ne trouve pas de  prétexte grossier pour l’interdire, on utilise la technique du tyran tropical qui consiste à organiser le même jour, à la même heure et au même lieu ou dans les parages, un événement semblable pour éclipser le vôtre ; à défaut il s’inventera une quelconque menace à l’ordre public pour empêcher à la dernière minute la tenue de votre rassemblement.

27- L’opinion pense aujourd’hui que l’odyssée des élections communales et locales trouverait, en fait, son explication dans l’intention du président de contrôler toutes les communes,  arrondissements et villages pour réussir à interdire toute réunion de ses adversaires, c’est-à-dire mettre un coup d’arrêt à l’exercice des libertés fondamentales. Les nostalgiques de l’ère stalinienne peuvent jubiler.

G- La gouvernance concertée et la démocratie apaisée

Dans ce registre, la mise en place d’institutions «écran» est l’un des artifices de la méthode YAYI au Bénin. Il est difficile de ne pas penser au pyromane qui met le feu et crie au feu. A voir le nombre des foyers de tension que le président YAYI allume sur tous les fronts, l’on s’interroge sur la dérision ainsi jetée sur la « gouvernance concertée » et la démocratie apaisée, autrement dit sur la réelle volonté de ce régime de donner une saine réponse au profond désir de paix de notre société.

28- A preuve, le sort du droit de grève sous le régime du changement. Aucun Béninois ne pourra oublier le communiqué signé du président YAYI invitant les jeunes sans emploi et sans formation ainsi que les retraités, à s’inscrire pour remplacer au pied levé les douaniers et les enseignants grévistes. Les agents de santé grévistes, eux, ont manqué d’être remplacés par des militaires. Au mieux, les agents avides de pistons ou nommés aux postes les plus enviés se constituent en un syndicat appelé « patriote » (affidé du pouvoir) pour empêcher leurs collègues de réclamer des améliorations. Tragique métamorphose des libertés syndicales et du statut de la fonction publique à l’ère de « l’émergence » : oser revendiquer un ajustement de salaire ou du cadre de travail met d’office nos valeureux fonctionnaires au ban de la République et les ravale au rang de vauriens et de vils apatrides. Dieu merci, la magie du « changement » peut assurer la permanence du service public grâce aux recrues et aux retraités !

29- Un épisode tout récent, du même acabit. La longue grève des enseignants qui a paralysé le secteur de l’éducation au risque de marquer une année blanche, débouchait enfin sur un laborieux  compromis entre le pouvoir et les syndicats grâce à la médiation du Bureau des parents d’élèves lorsque, contre toute attente, le gouvernement relance les hostilités en décidant le prélèvement  pour fait de grève sur les salaires des enseignants. Qui ne verrait dans cet acte délibéré la confirmation que le président s’est figé tout au long de la crise dans  l’acharnement et la provocation, sans la moindre crainte de l’année blanche comme il l’avait déjà, dans un mouvement d’humeur, clairement exprimé en disant aux grévistes qu’ils pouvaient fermer les écoles.

30- Aux effets bien plus tragiques, les grèves séquentielles des agents de la santé ont exposé au grand jour la face la plus sombre des relations sociales entretenues par le changement avec les travailleurs. C’est sous le règne YAYI que, pour la première fois, le monde des blouses blanches assermentées observe des grèves aussi longues et répétitives,  occasionnant, hélas,  des milliers de décès à travers le pays. Jusque dans une matière aussi sensible, le gouvernement affiche une totale indifférence et n’en sort que pour ouvrir la confrontation avec les syndicats en jouant sa fameuse carte du sabordage  par la création de « syndicats des patriotes ». A l’évidence, c’est le gouvernement du changement qui, avec son génie de l’improvisation, a allumé le brasier en accordant, sans étude préalable et sans concertation, mais surtout de manière discriminatoire, des primes à une catégorie d’agents beaucoup moins exposés aux risques professionnels que d’autres. Loin de corriger cette bévue, l’escalade des frustrations et le mépris dont ils se sentent victimes finit par outrager les travailleurs qui se demandent si le gouvernement  YAYI connaît la noblesse de la blouse blanche.  Pour ces « ouvriers sociaux », avons-nous compris, l’argent n’est pas le plus important, mais bien l’engagement,  l’éthique du métier ; à les écouter, un secteur en proie à tant de pénuries mérite plus d’égards de la part du pouvoir. Ces personnels ont toujours servi avec dévouement leur vocation mais ne sauraient accepter l’humiliation par laquelle on leur dénie injustement un droit légitime. A ce jour la gestion de ce département sensible n’est toujours pas maîtrisée et il faut craindre le pire.

31- Si vous doutiez que le régime YAYI cultive la crise permanente, songez à l’interminable cauchemar vécu à l’Assemblée nationale sous ce quinquennat, du fait de l’ingérence directe et assidue du président de la République dans la gestion du Parlement jusque dans les actes de souveraineté dévolus à cette institution !!! De l’histoire du gouvernement YAYI, les Béninois retiendront sans doute un vocable : ordonnance. Le recours à l’ordonnance qui, dans une démocratie, n’est qu’une voie d’exception réservée aux situations extrêmes, est  devenu avec  le pouvoir YAYI un moyen commode d’engager les dépenses non autorisées par l’Assemblée, et, par là, de provoquer la rupture avec les représentants du peuple. Le procédé permet, au passage, de livrer cyniquement les députés à la rue et à l’opinion non informée, celle-ci ne sachant pas que les votes des députés sont émis en son nom et qu’un accord de prêt rejeté par le parlement et mis à exécution par ordonnance, peut rendre  le prêt litigieux et induire la retenue du prêteur. C’est cette lacune que le président YAYI essaye de camoufler  par des marches de soutien comme pour rassurer le bailleur. Nous en avons eu la cuisante démonstration avec le refus du parlement de ratifier les accords de prêt relatifs à la lutte contre l’érosion côtière : à la suite de l’ordonnance présidentielle soutenue par des marches suscitées contre les députés, le démarrage des travaux a été simulé pour masquer la réalité d’un échec ; et pour expliquer l’arrêt du chantier, le gouvernement, comme par dérision, met grossièrement en cause l’affaire Simon ADOVELANDE, contentieux sans lien avec ce dossier. L’abus des ordonnances traduit bien l’incapacité, sinon la résistance de Boni YAYI à piloter une démocratie apaisée par le fonctionnement normal des institutions de la République.

32- Sur un autre plan, demandez aux étudiants ce que deviennent sous le changement les fameuses franchises universitaires qui rendaient les campus inviolables par les forces de sécurité. Ils vous certifieront que l’université, le temple du savoir, a perdu ce statut multiséculaire.

33- Une posture contraire à la recherche de la démocratie apaisée et de la gouvernance concertée est l’acharnement personnel du président à détruire gratuitement, sans cause ni raison, les personnalités de notre microcosme politique et social. Lors des élections législatives et communales,  YAYI Boni, usant des attributs de la fonction présidentielle,  n’a pas hésité à se lancer personnellement en campagne contre les candidats opposés au  FCBE sur leurs propres terrains. Comment oublier ces discours volontiers tribalistes et  régionalistes, impensables de la part d’un chef d’Etat (séquences strictement interdites d’enregistrement), où l’on brandit sans pudeur la menace et l’intimidation à l’endroit des populations qui voteraient contre les candidats du pouvoir. Comment peut-on prêcher la concorde, la justice et la paix lorsqu’on sème à tout vent la discorde, l’arbitraire et la haine? Dans l’exercice d’un mandat reçu du suffrage universel !!!

34- Dans cette rubrique, je sais que vous ne me pardonnerez pas d’omettre l’obsession du président YAYI Boni à anéantir l’ancien président Nicéphore SOGLO, maire de Cotonou et leader charismatique du Parti RB, pour l’empêcher d’être réélu maire, allant jusqu’à l’opposer à son fils (et donner l’impression que le fils est au gouvernement pour s’opposer à son père).

35- De même, je n’oserais omettre les multiples épisodes d’implication directe ou d’injonction du gouvernement de YAYI BONI dans le harcèlement et /ou les arrestations de maires ou de personnalités diverses sous des motifs  manifestement tramés pour obtenir la destitution d’un adversaire du FCBE ou exercer du chantage sur ce dernier. Et même lorsque la justice s’interpose, elle est simplement contournée, à moins que  la procédure ne soit falsifiée ou ajournée  pour prolonger la détention. L’exemple du maire de DANGBO en est la parfaite illustration.

36- De même, je serais incomplet si je ne rappelais les vagues soulevées par l’ouvrage de Rékiath MADOUGOU. Cette égérie apparaît  aux côtés de YAYI en 2005, aux heures bénies de la quête du pouvoir où l’on pouvait encore en toute sécurité s’opposer au président en exercice (oui, c’était alors chose on ne peut plus  normale) ; on pouvait même, comme l’a fait la nébuleuse YAYI coiffée par MADOUGOU,  placarder dans tout le pays la fameuse affiche « Touche pas ma Constitution » pour plomber la tentative de renouvellement du mandat de KEREKOU. Voici la protégée de YAYI qui, devenue ministre, signe en 2008 le livre intitulé « Mon combat pour la parole ». Cette publication porte atteinte à l’image du président KEREKOU et de sa famille, et suscite l’indignation de bon nombre de nos concitoyens heurtés par l’offense gratuite faite à un si grand sage de la nation, une icône respectée par-dessus tout pour son idéal démocratique. L’ouvrage s’inscrit, au demeurant, dans le rituel des attaques incessantes du régime du changement contre « Le Vieux ». Les dispositions prises pour le lancement  du livre étalent sans équivoque la forte implication du gouvernement dans cette entreprise décidément discourtoise et irrévérencieuse aux yeux d’une bonne majorité de Béninois.

37- La société civile a, elle aussi, reçu sa dose du venin de la division que sécrète le système du changement. Le résultat : aujourd’hui au Bénin il ya la société civile du gouvernement et les autres sociétés civiles ; c’est-à-dire une société « si vile » et une autre « civile ».

38- La même observation vaut pour les travailleurs. C’est sous le régime YAYI que l’on découvre les syndicats des « patriotes » créés au tournant de grèves syndicales. On a maintenant  des douaniers patriotes, des infirmiers patriotes, des enseignants patriotes, etc., qui ne sont rien d’autre que des groupes formés par le gouvernement pour jouer les casseurs de grève.

H- L’assainissement des finances publiques et la transparence

Le domaine dans lequel l’échec du changement à la YAYI Boni est patent et irrévocable, c’est l’assainissement des finances publiques.

39- La base de la gestion des finances publiques est le respect de l’orthodoxie financière qui passe avant tout par l’observance des prescriptions du budget de l’Etat  voté par l’Assemblée nationale. Il est de stricte obédience de budgétiser toutes les recettes de l’Etat et de n’engager que les dépenses autorisées, bien entendu selon les normes, les procédures et les proportions fixées par la loi. Dans ce sens, la gestion des ressources de l’escorte des véhicules d’occasion restera dans la mémoire des Béninois un cas d’école s’agissant du viol de l’orthodoxie budgétaire, un chef-d’œuvre  de détournement de fonds au sommet de l’Etat. Même si les dénonciations croisées du scandale ont fini par contraindre le gouvernement à une approximative lisibilité du dossier, nous avons tous enregistré là une preuve accablante de l’anarchie financière du gouvernement  YAYI.

40- Comme moi, vous avez été témoins devant vos écrans de télévision, du nombre incalculable de fois où, lors de ses tournées, le président de la République improvise en direct et de manière caricaturale les dépenses publiques au nom de la nation. Qui de nous n’a frémi lorsque, sur le chantier du stade Charles de Gaulle de Porto-Novo, il a invité  l’entrepreneur au palais de la présidence (apparemment devenu sous le changement l’agence centrale du Trésor) pour percevoir son dû,… des milliards de francs ! Je sais que vous n’oublierez pas non plus les décisions spontanées prises en plein meeting sous le charme des chatoyants bains de foule offerts par les femmes en liesse,  d’augmenter de plusieurs milliards de francs les  crédits  de la micro-finance gouvernementale dont les comptes sont résolument murés dans l’opacité.

41- Vous vous souvenez du scénario blasphématoire où le député CAKPO Robert, sur nos écrans, comparait la bonté du Dieu Tout- Puissant à celle du président YAYI…à l’incontestable avantage de ce dernier. Notre ancien parlementaire expliquait avec une candide dévotion qu’à la différence de notre Créateur, YAYI accorde ses bienfaits « aussitôt dit, aussitôt fait », sans attendre nos prières de pauvres mortels. En effet le président en visite sur les lieux venait d’ordonner à l’improviste la reconstruction de l’école du quartier qui menaçait ruines, et l’on rasait derechef les honteuses masures en vue de réaliser l’impériale décision. Mais, souvenez-vous-en, bien des mois plus tard, les riverains déclenchaient un mouvement de protestation parce que depuis la démolition, ils n’avaient rien vu de nouveau sur le site désespérément jonché de gravats. Rien d’étonnant : on en était toujours à la recherche du financement du projet, le président ayant lui-même nommé l’entreprise chargée des travaux. Cet exemple parmi tant d’autres, stigmatise un style de gouvernement particulièrement apte au pilotage à vue et à la désinvolture budgétaire.

42- Les ordres de paiement ou OP (décaissement sur simple ordre, en marge de la procédure normale) ont toujours été critiqués comme la source, oui, du désordre budgétaire. Il en avait été fait un usage incontrôlé par le passé.  Dans une adresse solennelle à la nation en 2006, le président YAYI  promet de mettre fin à cette illégalité : trois ans plus tard, en 2009, l’émission des OP a gangrené les finances publiques pour pulvériser le record de tous les régimes antérieurs réunis (on a récemment avancé le chiffre de 90 milliards en trois mois). La démagogie ayant atteint ses limites, l’épreuve des faits et des chiffres a remis le Bénin à la fin 2009, dans l’étau du FMI et de la Banque mondiale, sous la propre signature de notre ministre des Finances : le gouvernement du « changement » avoue piteusement aux gendarmes de la finance internationale que sa trésorerie est dans l’impasse ; que sa gestion des fonds publics doit se plier aux normes ; et, confessant la lamentable tricherie, reconnaît que son budget de 1300 milliards brandi en triomphe avant d’échouer dans une ordonnance, n’atteint guère les trois quarts du chiffre mythique proclamé. L’opposition parlementaire avait été diabolisée à profusion par le même gouvernement pour le rejet du même budget…Un budget allègrement malmené par la risée extérieure : sur la chaîne de télévision AFRICA 24, le ministre togolais des Finances l’a qualifié de « budget fictif » (soulignant, dans le même propos, que les investisseurs fuient le Bénin). Qui, du reste, peut nous dire lequel des budgets est mis à exécution cette année : celui renvoyé par le Parlement, celui des  improvisations, celui communiqué au FMI ou celui rectifié par le FMI, tous différents les uns des autres ? Et cette épée de Damoclès, l’injonction faite par le FMI de n’exécuter qu’à 40% le budget  imaginaire ? Pauvres de nous !

 Nous voici plus de vingt ans en arrière, sous ajustement structurel comme en 1988. Incrédulité ou amnésie, nous n’en prenons pas encore la mesure : oui, le pire est toujours à venir et nous sommes habitués à agir après coup ; oui le peuple n’a pas de mémoire. Mais  l’imminence est à nos portes ; pour vous en convaincre, lisez les banderoles,   écoutez les syndicalistes avertis et non les « patriotes ». J’espère que nous n’attendrons pas les licenciements, les départs ciblés, les fins de mois incertaines et tout le cortège de  misères avant de réagir.

43- C’est sans doute pour  avoir compris que le peuple risque de ne pas lui être indulgent que le docteur YAYI BONI, notre économiste-président, se livre à la distribution gratuite et à grande échelle d’argent frais. Il devrait d’ailleurs, au nom de la transparence « émergente », expliquer publiquement comment il gagne tant d’argent au moment où tous ses compatriotes deviennent chaque jour plus pauvres, où les affaires ne marchent plus, et où l’Etat augmente à des taux hors normes tous les prix : ciment, électricité, eau, carburant, etc.

I- Le soutien à la presse et la sauvegarde de la liberté de presse

Le baromètre de la démocratie se lit en termes de liberté d’expression et de presse. Sans fausse modestie, depuis la Conférence nationale, nous avions des raisons d’être fiers de notre presse. Mais à écouter les professionnels eux-mêmes, et à observer un certain nombre de faits et d’indicateurs depuis l’avènement du « changement » de YAYI, il faut sonner l’alarme face au recul de la presse causé par une  politique surgie du fond des âges.

44- Commençons par les  contrats inouïs que ce gouvernement a établis et maintes fois renouvelés avec les organes et entreprises de presse. On tente de dédramatiser cette sombre manigance, elle reste une flétrissure pour la noblesse du métier. L’aide à la presse relève des obligations constitutionnelles de l’Etat, nulle part la loi ne prévoit de contrepartie, a fortiori la fameuse clause liberticide selon laquelle les media signataires d’un quelconque contrat sur fonds publics ne doivent pas critiquer le gouvernement. Cette insulte à la déontologie se double d’une monumentale escroquerie car l’argent du contribuable sert frauduleusement  à museler la presse et, de fait, à priver le citoyen de son droit constitutionnel à l’information pour lui asséner la propagande gouvernementale. La dignité du journaliste, déjà mise à mal par la précarité d’un emploi mal rétribué, se voit à présent reléguée au rang de mercenaire de la communication. Cette intolérable atteinte à l’éthique et à l’indépendance de la presse est l’une des marques les plus sévères de la dérive autocratique et totalitaire du règne YAYI.

45- Le traitement infligé à la presse publique et aux media de l’Etat relève tout simplement du monolithisme primaire et atteste le peu de respect du pouvoir à l’égard du citoyen. L’ORTB, que finance l’ensemble du peuple béninois est devenu un peu comme propriété privée de YAYI et du parti présidentiel FCBE. Son directeur général, M. Julien AKPAKI, excelle particulièrement  à marginaliser l’opposition dans l’accès à l’antenne pour en conserver la presque exclusivité aux émissions du pouvoir : audiences officielles, meetings à la gloire du monarque, voyages présidentiels… On se prend à rêver à la période de grâce qui remonte à la Conférence nationale (et même avant) et s’arrête à l’avènement de YAYI en 2006 : durant ces dix-huit années où fleurissait la liberté d’expression (elle germait déjà en 1988, sous le parti unique, avec deux grands organes indépendants), les media de l’Etat étaient si libres et autonomes qu’ils apparaissaient singulièrement plus ouverts à la parole de l’opposition qu’à celle du pouvoir. La nation entière était fière de sa presse publique et de ses journalistes. Aujourd’hui ils sont à plaindre, les malheureux journalistes fonctionnaires de l’Etat, pris en étau entre les nobles exigences de leur métier et l’ombre menaçante  d’un pouvoir allergique à la critique et à la différence. Je me dois de saluer le courage et la grandeur de ceux d’entre eux qui, à l’occasion, rappellent par leur prestation, que l’espoir d’une presse de service public, libre et impartiale, est encore permis.

46- Vous ne le savez peut-être pas, ils sont souvent punis, ces professionnels,  pour avoir exercé leur métier suivant la déontologie et les règles de l’art.  A  Parakou et à Natitingou, on vous donnera une liste de journalistes qui ont été inquiétés ou ont vu leur contrat suspendus sous la pression des autorités pour avoir donné la parole à des indésirables, entendez des opposants. Vous savez tous la mesure de suspension administrée à la radio CAPP FM pour avoir diffusé une émission d’opinion portée par une ONG (de la société civile non gouvernementale).

47- De son côté, la HAAC actuelle ne recule devant aucune initiative pour jouer ouvertement devant le public béninois, le jeu sournois d’étouffer les opposants, et qui cache mal l’ombre  du président YAYI sur l’institution et chacun de ses membres. Cela ne surprend en fait aucun Béninois, lorsqu’on sait comment cette institution a été pourvue sous le président YAYI : les conseillers essayent de payer leur dette. En effet, leur dernier communiqué, ouvertement menaçant à l’endroit de tous les organes de presse qui relaieraient des manifestations visant les élections de 2011, ne laisse aucune équivoque  à cet égard.

Qui, hormis le gouvernement, attache le plus grand prix à l’échéance de 2011 si ce n’est l’opposition ? Comment l’opposition peut-elle critiquer le pouvoir sans envisager  l’alternance, sans présenter ses alternatives et ses choix pour remédier à la situation et conduire son projet de société ?

En fait l’enjeu est simple : enlever à l’opposition la possibilité de communiquer sur son sujet majeur au moment où elle doit faire sa rentrée politique et, du même coup, offrir le boulevard des média au pouvoir qui, lui, fait organiser des marches de soutien aux actions les plus banales du président YAYI, comme on le voit actuellement pour une ordonnance. Planifier tout cela et empêcher aux Béninois l’accès libre et équitable à l’information est indigne du Bénin démocratique. Comment sommes-nous tombés si bas,  à ce niveau où les gens des médias siégeant eux-mêmes à l’organe de régulation en arrivent à soutenir l’inacceptable, eux qui assistent à la campagne permanente du pouvoir menée depuis quatre ans à coups de manifestations amplement médiatisées scandant la victoire de YAYI pour 2011. Curieusement, c’est à la veille d’une grande sortie  des étudiants de l’université d’Abomey- Calavi pour appeler la candidature d’Abdoulaye BIO TCHANE dit ABT    (manifestation qui a résisté à toutes les manœuvres du gouvernement), que la HAAC publie son communiqué, comme pour dire qu’aucun organe ne devait couvrir l’événement.

Conséquence de tout ceci, essayez de compter sur notre chaîne publique l’ORTB les marches de soutien diffusées chaque jour, organisées toujours, comme on le sait, par les caciques du pouvoir avec l’argent du contribuable et les  moyens de l’Etat.

48- Je n’ajouterai pas à votre humeur en rappelant que, sous le changement, le Bénin a dégringolé dans le classement international de la liberté de presse.

J- Options économiques et sociales  stratégiques

49- La compétitivité des entreprises dépend étroitement du coût des facteurs de production. L’énergie occupe une place de première importance dans l’économie. En l’espace de trois ans, le prix du carburant a presque doublé ; celui de  l’électricité a subi des hausses vertigineuses alors que la qualité du courant a considérablement baissé. On nous avait promis  pour l’immédiat, en 2006, de nous offrir l’essence au prix de la pompe au Nigéria, puis de mettre fin au délestage électrique grâce aux turbines à gaz sous commande et au gaz bon marché attendu du projet Gazoduc, ainsi qu’à l’interconnexion des réseaux Nigéria-Bénin. Nous en sommes aujourd’hui à acheter le carburant au double du prix au Nigéria et à subir un délestage systématique, officiellement planifié par le gouvernement. Conséquence, l’inflation (la flambée des prix) est à un niveau insupportable ; les travailleurs, avec un pouvoir d’achat complètement érodé, peinent ou n’arrivent pas du tout à joindre les deux bouts. Mais rien n’a empêché l’Etat d’autoriser officiellement l’envolée des prix de produits essentiels comme le ciment à près de 10%, proportion évidemment incommensurable à l’évolution des salaires. Et, par effet domino, les prix de tous les produits et services de base explosent littéralement. C’est la raison des grèves perlées dans tous les secteurs. Et lorsque malgré la détresse des gouvernés, les gouvernants affichent  des comportements de nouveaux riches  à travers des dépenses somptuaires ou la  distribution ostensible de sommes importantes  lors des meetings et autres séances d’exhibition, il ne faut pas s’étonner de la persistance de la grève, du durcissement  de la crise sociale et de la montée du mécontentement général.

50- N’avez- vous pas l’impression qu’en dehors de la rhétorique, ce pouvoir manque de vision, tant l’improvisation est de règle ? Sinon quelle étude sous-tend la construction de l’aéroport de TOUROU pour plusieurs dizaines de milliards de francs?  S’il ne s’agit d’un éléphant blanc, à quelle nécessité économique obéit ce projet, à quel besoin régional ou national ? Des futuristes peuvent y voir l’anticipation du lointain horizon où Parakou deviendrait Las Vegas, l’avenir prévisible dicte ses impératifs : plus concrète, la corporation des transporteurs, économiquement dominante au Nord, a toujours souhaité la construction d’un port sec à PARAKOU, MALANVILLE ou PORGA pour une meilleure desserte du grand marché sahélien. Il ya là un véritable problème d’option. Par ailleurs, pourquoi avoir rangé au placard  la construction de l’aéroport touristique de TIGNINTI à Natitingou ou de l’aéroport  international de GLODJIGBE ?

K- Le soutien aux opérateurs économiques béninois

S’il se pose une énigme aux Béninois aujourd’hui, c’est bien l’acharnement du président contre les opérateurs économiques de nationalité béninoise. Interrogez l’un quelconque d’entre eux, parmi les plus connus et les plus actifs avant 2006, sur ses relations avec le pouvoir. Vous en serez médusé. Une chronique plus qu’édifiante.

51- Séfou FAGBOHOUN, actionnaire majoritaire de la SONACOP au nom du groupe CPI au sein duquel il ne détient qu’une part du capital, est suspecté  par la commission bancaire de l’UEMOA d’avoir acheté la SONACOP avec l’argent de la SONACOP. Le ministre des Finances Abdoulaye BIO TCHANE décide de poursuivre les investigations et de clarifier la situation par tous les moyens ;  mais peu après il quitte le gouvernement pour un poste au Fonds monétaire international. Le président KEREKOU suit le dossier de plus près, il veut comprendre comment un acquéreur peut racheter une affaire avec l’argent du  vendeur. Les relations se détériorent entre KEREKOU et FAGBOHOUN, deux amis de longue date.  YAYI succède à KEREKOU et, quelques semaines après, sans aucun mandat judiciaire relatif à l’affaire, jette FAGBOHOUN en prison durant deux ans,  bloque ses comptes bancaires à l’étranger (encore à ce jour), saisit ses terrains nantis de titres fonciers et les rétrocède à un expatrié  malgré les actes judiciaires qui l’interdisent. Voilà comment, par l’exercice arbitraire du pouvoir, un homme d’affaires a été détruit au prétexte d’une dette commerciale pour laquelle, en définitive, la justice n’a retenu aucune charge contre lui. La presse nous apprend que YAYI tente publiquement d’obtenir le pardon de FAGBOHOUN. Question : les poursuites, était-ce désir de justice ou volonté de nuire ?

52- Séverin ADJOVI, un autre chef d’entreprise de renom, a mis en émoi l’auditoire de l’émission télévisée où il a livré d’étourdissantes révélations sur le harcèlement et les persécutions dont il est l’objet. En cause : le pouvoir qui tente de le contraindre à  vendre ses parts dans une société qu’il a  lui-même créée de longue date. L’homme d’affaires dénonçait, en particulier, le fait que la dépossession se tramait au profit de firmes étrangères, pas même pour d’éventuels sociétaires béninois.

53- L’épisode ADJOVI, ne l’oublions pas, fait partie d’un plan de mise à mort d’entreprises autochtones connues pour offrir aux populations des services à bas prix : il suffit que leurs promoteurs apparaissent politiquement indociles aux yeux du pouvoir.  Sous prétexte  de recouvrer les pertes causées à l’Etat dans les contrats avec les opérateurs GSM, un réseau comme BELL BENIN, le moins cher pour le consommateur, se verra torpillé par une dynamite fiscale de plusieurs milliards de francs alors que, à ce jour, nul ne sait lesquelles des autres sociétés indexées se sont acquittées du passif et pour quel montant. De sources dignes de foi, certaines (multinationales) seraient simplement exemptées. Par la même occasion, le gouvernement ouvre un boulevard à un nouveau concurrent extérieur sur le marché national… bien malin qui saura à quelles conditions.

54- Patrice TALON : l’homme que j’ai vu lors de la campagne électorale en 2006, déterminé à porter YAYI au pouvoir (on dit qu’il y a investi des milliards et serait le financier principal de la campagne). Je l’ai vu mener d’épuisantes  négociations à la recherche d’alliances entre les deux tours. Cet homme effacé et humble, ne tarde pas à se rebiffer peu après l’investiture et, en 2007, apparaît  aux côtés d’AMOUSSOU Bruno, son ennemi déclaré un an plus tôt, pour la conquête du pouvoir législatif contre YAYI. Devinez ce qui s’est passé. Un indice connu : le gouvernement venait d’annuler la procédure de privatisation de la SONAPRA après que TALON en a été déclaré adjudicataire. La société ne lui sera cédée qu’un an plus tard, après avoir subi une réduction de son portefeuille et, surtout,  une mémorable saignée financière (FAGNON, le bouillant ministre de YAYI BONI, en était le directeur général sur qui pèsent à ce jour, des soupçons de malversations chiffrées à une cinquantaine de milliards FCFA).

55- Issa SALIFOU dit SALEY : l’homme qui aura tout enduré sous le changement. A maintes reprises, il subit des redressements fiscaux abusifs, des avis de compensation entre BELL BENIN et LIBERCOM largement au-delà de ce qu’il doit… Vous vous souvenez qu’à la demande du président de la République,  SALEY devait être déchu de son mandat de député si l’hémicycle ne s’était mobilisé en sa faveur. Et aujourd’hui il paraît qu’il essuie une obstruction ouverte de la part du chef de l’Etat dans une transaction internationale dont dépend la survie de ses entreprises.

56- La télévision nous a récemment montré un autre ami de YAYI appelé Martin RODRIGUEZ, aujourd’hui installé en Côte d’Ivoire où il promeut de formidables projets de développement, qu’il dit malheureusement ne pas pouvoir réaliser au Bénin parce que bloqué par la mesquinerie (en parler local «la béninoiserie») des gouvernants de ce pays. Nous avons tous éprouvé une vive émotion à entendre la complainte d’un  entrepreneur aussi nationaliste, harcelé jusqu’à l’exil par le pouvoir dans un contentieux qu’il voulait sincèrement régler à l’amiable avec l’Etat. Nous apprenons que M. RODRIGUEZ est de nouveau courtisé par le gouvernement, pour une tout autre raison : il en sait long sur l’affaire de l’avion présidentiel, un autre scandale dans lequel s’est englué le gouvernement du changement.

57- Je n’ai pas besoin d’étaler tous les cas, d’El Hadj DAOUDA LAWAL à SALIFOU dit SASIF, en passant par Charles TOKO, Edmond  AGOUA, VENANCE GNIGLA, CHANVOEDO… Approchez ceux parmi eux qui ont fini d’avoir peur et vous aurez peur pour notre pays.

L’analyse de cet incroyable feuilleton montre que les opérateurs victimes de telles persécutions sont ceux dont la dimension économique et l’influence sociale constitueraient un obstacle pour le pouvoir monocratique. Un régime qui, vous le voyez, ne peut s’accommoder que de fabrications sur mesure, il se crée donc cette  poignée de nouveaux riches, la seule classe économique agréée de nos jours : elle ne compte que quelques amis ou parents du président, des directeurs de société d’Etat et des caciques du régime…

L- La maîtrise des dossiers d’Etat

Quatre ans durant, j’ai suivi les interventions du président YAYI BONI sur la gestion des dossiers de l’Etat. Je ne vis pas dans un autre pays que le nôtre, mais comme vous, je voyage un peu, je lis aussi, j’en apprends sur la façon dont travaillent les présidents de la République. J’ai également observé à l’œuvre les présidents KEREKOU et SOGLO, les seuls par qui ma génération a pris conscience de ce qu’est  véritablement un chef d’Etat. Je me surprends à comparer entre elles leurs différentes méthodes de travail, et plus volontiers les deux premières, véritables écoles,  à celle du président YAYI.

58- YAYI BONI restera probablement le seul président de notre République à professer publiquement, en direct sur l’écran, qu’il ne participe pas souvent au Conseil des ministres et que les décisions prises en son absence ne l’engagent pas. Cet organe est et demeure jusqu’à nouvel ordre l’instance suprême de la décision gouvernementale… De même, qui d’entre nous n’a  été abasourdi quand, en réaction  aux lacunes d’un collectif budgétaire soumis à  l’Assemblée nationale par le gouvernement, le président YAYI a déclaré ne pas avoir « le temps de lire ces choses » et qu’il avait « mieux à faire ». C’est dire que le chef ne lit pas et ne connaît pas le contenu des dossiers !! Cela n’est pas étonnant car tout porte à croire que le président improvise les tournées tous les jours pour éviter d’avoir à lire les dossiers. Dans ces conditions, qui connaît les dossiers, qui nous gouverne réellement ? Les Béninois se rappellent comment un ministre du président SOGLO s’est couvert de ridicule pour avoir dit à la télévision qu’il avait, comme il est courant chez les ministres selon lui, signé un document sans y faire attention et ne savait donc pas le contenu de l’engagement signé : ledit ministre perdait son portefeuille  peu après. Ici, c’est le président de la République lui-même qui avoue quelque chose dans le genre, et qui engage l’Etat. Rire ou pleurer ?

59- Les improvisations !!! Dans toutes les démocraties, lorsqu’un  gouvernement est accusé d’improvisation et de pilotage à vue, il s’en défend vaillamment, à moins de briguer la palme de l’incompétence et de l’incapacité. Dans le Bénin d’aujourd’hui, la chose n’émeut plus personne, tant elle est quotidienne. La gratuité de la césarienne, la gratuité de l’école, l’inscription en ligne des étudiants, les machines agricoles, l’aéroport de TOUROU, le microcrédit aux plus pauvres, les visites officielles sur le terrain, les visites d’Etat (où il arrive qu’on nous mette en attente ou qu’on nous reçoive au stade),…, ont été décidés ou lancés sans étude préalable et parfois sans avoir été budgétisés. Nous sommes habitués au Bénin, à la justification après coup de projets démarrés, bien moins à l’étude avant réalisation.

Les improvisations sont en réalité la conséquence d’un esprit brouillon dans la gestion de la chose publique aggravé par le fait que le chef lui-même se dispense de lire les dossiers pour les maîtriser. Cela rejaillit inévitablement sur la nature des décisions souvent fébriles au sommet de l’Etat, comme si à chaque fois le chef découvre qu’on l’a trompé ou qu’il s’est trompé, car ce sont les conseillers et courtisans qui gouvernent au gré de leurs intérêts. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à considérer le nombre des nominations et des révocations spectaculaires dans les ministères et à la tête des sociétés et offices d’Etat. Au nom des courtisans et « conseillers-chefs d’Etat », bonjour les dérives.

 

MES CONCLUSIONS ET SUGGESTIONS

Nous devons nous rendre à l’évidence. Le conducteur du changement a en effet enclenché le levier de vitesse. Seule question : a-t-il engagé la première ou la marche arrière ? Légitime interrogation ! Je n’y trouve pas réponse plus exacte que dans l’apologie même du « Bénin émergent » en ses  formules volontiers narcissiques : «Avant le changement on n’avait jamais vu ça …c’est la première fois que…». Il y avait donc bien matière à inventaire.

Manifestement, nous étions tous trop enthousiastes pour surveiller de près notre chauffeur. Certains, expérimentés, avaient déjà signalé que le chauffeur du Bénin était mauvais. Mais nous nous réveillons aujourd’hui pour nous rendre compte que le chauffeur est plutôt dangereux. Il a embrouillé la boîte de vitesse, il roule au bord du ravin. Bientôt, au poste de contrôle constitutionnel, l’occasion unique de ne pas le laisser reprendre le volant.

 Un fait d’actualité met au défi notre entendement. Dans le passé, l’annonce d’un remaniement ministériel provoquait immanquablement la curée des postes. Aujourd’hui, voici notre président de la République qui promène sur la tête son plateau de portefeuilles ministériels pour former son gouvernement et ne recueille aucune candidature. On observe même chez les potentiels « ministrables » une véritable allergie à cette offre alors que, selon la rumeur, il leur est parfois proposé, en plus du portefeuille, une coquette enveloppe. Que se passe-t-il ? Le pouvoir serait-t-il soudain devenu pestiféré ?

Alors que la propagande gouvernementale expose les villas présidentielles hors de portée du Béninois moyen, des ponts aériens hérités du régime Kérékou, des pseudo gratuités, des crédits de masse sur fond de scandales etc., pour essayer d’éclipser la réalité, les faits vécus  que nous avons cités plus haut et bien d’autres encore, imposent chaque matin à l’esprit le plus fermé,  un défilé d’images qui peignent la décrépitude ambiante.

Le burlesque : la télévision couleur devenue politiquement monocolore, le soutien aux marches de soutien, l’avion présidentiel volatilisé sans voler, l’Etat laïc coiffé par la religion, Georges Bush en visite au portail du Bénin, des marcheurs contre la corruption convertis en démarcheurs pour la corruption, le président escaladant jour et nuit nos chantiers, le gouvernement où personne ne veut entrer sinon contre forte somme…

Le tragi-comique : l’insécurité financière sous les gardiens de la finance, en clair le gouvernement des banquiers piégés par la délinquance bancaire et financière…

Le tragique : le réseau routier effondré, la série de catastrophes et d’hécatombes inédites (Porga, Tchaourou…), l’insoutenable bilan des braquages quotidiens, la série de victimes du cortège présidentiel, la confection de tensions toutes catégories, la gouvernance par la crise permanente, l’abandon de nos enfants au débrayage des enseignants,  la grève illimitée du personnel de la santé avec la sombre nécrologie causée dans les hôpitaux…à l’indifférence ou à l’incompétence manifeste du pouvoir.

C’est vrai, tout cela, et bien plus, est nouveau dans le Bénin du renouveau. En quatre ans, notre pays a bel et bien changé ; mais dans le sens inattendu de tous. Alors ?…

Il nous faut absolument comprendre ce qui nous arrive. Les Béninois sont un peuple profondément croyant. Le recours au mystique survient quand l’explication scientifique atteint ses limites. Les deux dimensions sont également nécessaires à notre entendement. Nous le savons, Dieu seul donne le pouvoir et chaque peuple a le chef qu’il mérite. Qu’avons-nous donc fait pour mériter le nôtre, en clair pour ériger ce type de pouvoir dont les errements nous exposent collectivement à des risques gravissimes ? La mégalomanie, la dérive dictatoriale, cette gouvernance chaotique sont-elles une fatalité ou simplement le choix imprudent que nous avons fait de l’inconnu en voulant du nouveau ? En effet la quête du nouveau passe par l’inconnu et rencontre parfois l’inapte. Connaît-il le pouvoir ? En possède-t-il les facultés ? Car, je le disais il y a deux ans, « on lui donne le pouvoir et il cherche le pouvoir ».  La boutade conserve tout son sens : le pouvoir mal assuré est dépourvu d’autorité et se mue en force aveugle. C’est la source de l’autocratie et de la tyrannie, que la démagogie sait si bien accommoder avec la ferveur populaire.

Un pouvoir autocratique qui se veut « fort » sans pour autant rassurer les Béninois, un président prompt à se défausser de décisions prises par le Conseil des ministres, l’organe suprême de l’exécutif.

Oui, faute de prendre du recul, nous avons péché par naïveté, et notre myopie (dois-je dire ingratitude?) collective ne nous a-t-elle pas écartés du devoir de reconnaissance envers tous ces bâtisseurs que sont nos anciens présidents ? La nation leur doit tant de nos vertus. L’enthousiasme de l’aventure nous poussait à jeter le bébé avec l’eau du bain.

Il n’y a pas de doute, les outrances  du pouvoir du changement nous montrent l’inestimable valeur de ce que nous sommes en train de perdre : notre liberté, notre fierté de modèle démocratique, notre stabilité économique et sociale, notre prospérité, nos valeurs… en un mot, notre dignité, notre identité.

Il nous a été possible, au Bénin, de nous en sortir ensemble, face à des situations plus difficiles que celle que nous traversons aujourd’hui, sans jamais atteindre l’irréparable. Dieu merci, nous disposons actuellement d’une voie que nous avons tous ensemble tracée : notre Constitution et l’alternance démocratique par les urnes qu’elle consacre. L’occasion est unique, il faut la saisir pour changer de président de la République en 2011. C’est notre seule chance d’arrêter le déluge. Dieu ne nous aidera  que si nous le décidons. Pour chacun de nous c’est un impératif de salut public. Je vous y convie.

Voilà pourquoi YAYI Boni doit être révoqué en 2011, par les urnes.

Sauvons notre nation du péril.

Juillet 2010

Honorable Assan SEIBOU

assanseibou@yahoo.fr

(229) 96 09 13 50